Au FBI, un indic nommé Trump
Spécialiste de la mafia, Fabrizio Calvi a enquêté sur les « amitiés » du businessman devenu président.
Il y a bien sûr son avocat véreux, son mentor, Roy Cohn, le conseiller des grandes familles de la mafia new-yorkaise, sans qui Trump n’aurait jamais tracé son chemin dans le milieu gangrené du BTP. Il y a sa rencontre, avérée, en 1983, avec « Fat Tony » Salerno, de la famille Genovese, le roi mafieux du béton. Il y a ce Dan Sullivan, syndicaliste enragé, qui traite pour Trump avec Cosa Nostra. Autant de portraits hauts en couleur brossés par Fabrizio Calvi qui démêle l’écheveau trumpien où l’on croise les modèles de la série Les Soprano et du film Casino.
Bien introduit auprès d’anciens du FBI, Calvi y révèle aussi comment, dès 1976, Trump reçut la visite d’un agent, Myron Fuller. Pour un hôtel de Miami, le Fontainebleau, il était potentiellement un homme de paille de Meyer Lansky, un des chefs mythiques de la mafia. Comment, à charge de revanche, le district attorney Rudy Giuliani, futur maire de New York, Monsieur Propre de la ville dans les années 1980, étouffa une affaire qui mêlait le milliardaire au blanchiment d’argent de Bob Hopkins, le roi des jeux, copropriétaire de sa Trump Tower. Comment les autorités de New York ont regardé ailleurs dans les années 1980 lors du désamiantage sauvage du bâtiment qu’il fit détruire pour y construire sa Trump Tower – un désamiantage contrôlé par Cosa Nostra.
Par quel stratagème Trump est-il toujours passé entre les gouttes ? La thèse de Calvi pour expliquer cette protection est qu’il aurait été un informateur régulier d’un membre tout-puissant du bureau de New York du FBI, dont il financera plus tard l’association de vétérans : Trump fut un « deep pocket », non référencé, hors procédure, jouant toujours sur les deux tableaux, FBI et mafia, pour bâtir son empire. Ce qui expliquerait aussi le rôle de certains réseaux du
Non référencé, hors procédure, Trump a toujours joué sur les deux tableaux, FBI et mafia, pour bâtir son empire.
FBI dans la démolition de Hillary Clinton lors de la campagne présidentielle de 2016. Un récit-puzzle, plein de dédales et passionnant, qui nous emmène aussi au pays de Poutine, vers Seva Mogilevich, le parrain des parrains de la mafia russe, dont les hommes de main ont fréquenté certains collaborateurs du futur président
■
EXTRAITS
Chez lui, au FBI
Après un repas bien arrosé, un mafieux demande à Mark Rossini [agent du bureau de New York du FBI, NDLR] : « C’est quand même curieux que le Bureau ne se soit jamais penché sur les liens entre Donald Trump et Fat Tony Salerno, le capo des Genovese. Tout le monde sait qu’ils travaillaient ensemble.» Mark Rossini éclate d’un rire tonitruant. Il évite de dire au mafieux que lui aussi ne comprend pas pourquoi les équipes du FBI de New York n’ont jamais ouvert d’enquête sur Trump. Pourtant, elles possèdent un gros dossier. Il se demande aussi pourquoi le Bureau l’a laissé opérer impunément, pourquoi il n’a jamais été renvoyé devant la justice. (…)
Mark Rossini a continué à se poser des questions en constatant qu’avant même son implication dans la course présidentielle, la sécurité personnelle de Donald était organisée, contrairement aux usages, par des agents du FBI à la retraite alors que les anciens flics à son service étaient cantonnés à des fonctions subalternes. Il croit savoir pourquoi Donald bénéficie d’un traitement de faveur : il serait l’informateur d’un haut responsable du NYFO [bureau de New York, NDLR]. Myron Fuller (autre ancien agent du FBI qui a interrogé Trump dès 1976) approuve. Reste à savoir qui est le protecteur de Donald Trump au sein du Bureau. James Kallstrom est un agent spécial comme John Edgar Hoover les aimait. Un mâle blanc, conservateur à tendance républicaine. Il a rejoint en 1971 une organisation en pleine mutation. Avec la disparition du père fondateur, J. E. Hoover, les tabous tombent. Pour la première fois de son histoire, le FBI s’attaque à Cosa Nostra. Chargé de la surveillance électronique de la mafia, James Kallstrom fait merveille. Son équipe sonorise les principaux lieux de vie des gangsters, leurs demeures, leurs voitures, leurs restaurants et leurs clubs. Il s’occupe aussi de certains informateurs. « On savait que Trump informait Kallstrom, explique Mark Rossini. Entre nous, on disait même que Trump était le “top echelon informant” de Kallstrom. C’était devenu un running gag. » Trump était-il immatriculé, comme tous les informateurs du FBI ? Mark Rossini ne le croit pas : « Il faisait partie de ces informateurs que l’on n’enregistrait pas. »
Lui aussi ancien du NYFO, Myron Fuller est d’accord avec cette analyse. Myron Fuller a travaillé sous les ordres de James Kallstrom. Pour lui, « James Kallstrom était probablement l’agent du FBI le plus puissant qui ait jamais existé dans le bureau de New York. » (…) Le directeur du FBI, James Comey, s’inquiète de l’existence des réseaux de James Kallstrom. Il en parle avec l’attorney general Loretta Lynch : « Il y a un groupe de personnes de haut rang, à New York, qui ont une haine profonde et viscérale de la secrétaire d’État Hillary Clinton », explique le directeur du FBI à son ministre.
Pour Comey, la situation est difficile à gérer car il s’agit d’agents « très, très expérimentés ou même toujours en poste bien qu’ayant atteint l’âge de la retraite, et qui ne sont pas sensibles aux pressions du QG du FBI, ni de qui que ce soit d’autre ». (…) La fièvre monte au FBI. Le quotidien britannique The Guardian parle de «l’antipathie profonde à l’égard de Hillary Clinton [qui] existe au sein du FBI, provoquant une série de fuites d’informations. Les responsables actuels et les anciens du FBI décrivent un climat interne chaotique ». Un agent du FBI reconnaît : « Le FBI, c’est Trumplandia. »
Une étrange proposition
En juin 1981, un mois après avoir déposé sa demande de permis [pour le casino le Taj mahal d’Atlantic City, NDLR], Donald rencontre de nouveau Walt Stowe, agent du FBI. Cette fois, il lui propose de monter une opération d’infiltration de la mafia en implantant des agents du FBI, sous couverture, dans son casino. Une opportunité unique pour le Bureau. Pour la première fois de son histoire, il va pouvoir observer de l’intérieur le fonctionnement d’une des principales ressources de Cosa Nostra.
Walt Stowe prend la proposition au sérieux. Il rencontre l’agent qui dirige la résidence du FBI d’Atlantic City afin de discuter des perspectives offertes par une coopération avec Trump. Sous sa houlette, le bureau de Newark et la résidence d’Atlantic City montent une opération de pénétration à partir du futur casino. Dans son rapport, Walt Stowe note que « cette proposition, qui est dans son état final, doit être discutée avec Trump et les SAC (special agent in charge) des bureaux de New York et de Newark le 1er octobre 1981 »