Cyrulnik et Sansal, la résilience franco-algérienne
grandes puissances du moment ■ : Damas, Bagdad, le Maroc (notamment sous le règne sanglant des Almoravides et des Almohades), l’Empire ottoman, avec, à certains moments, des enclaves espagnoles (notamment à Oran et à Alger). Le deuxième objectif est d’inscrire la guerre de libération dans le djihad planétaire de la nation arabe et musulmane contre les croisés. Le troisième vise à empêcher que la conquête arabe et la domination ottomane soient regardées comme des colonisations au même titre que toutes les autres colonisations qu’a connues l’Algérie : phénicienne, romaine, byzantine, espagnole, française. L’explication avancée était que les Arabes et les Turcs ne sont pas venus nous coloniser, mais nous affranchir, nous islamiser, nous arabiser, nous éduquer, élargir l’umma conformément à l’appel d’Allah. Le quatrième objectif consiste à occulter l’identité berbère multimillénaire et le passé judéo-chrétien d’avant l’islam. » (Sansal)
Rompre le lien colonisateur-colonisé
« (…) je suis convaincu que, jamais au cours de l’Histoire humaine, colonisateur ne fut plus mauvais maître et plus piètre gouverneur que la France coloniale. Il lui en a coûté, et ce n’est pas fini. La mémoire des Algériens est marquée au fer rouge pour longtemps, ce que les uns et les autres ont abondamment exploité à leur profit, tels les caciques du FLN, les islamistes, une certaine gauche en France et les mouvements dits « décoloniaux » comme le Parti des indigènes de la République (PIR).
La relation politique de la France avec l’Algérie indépendante est à l’avenant, toujours à contre-courant de l’Histoire et souvent carrément indigne comme le fut son soutien au régime honni de Bouteflika, la pire dictature que les Algériens aient eu à subir dans leur Histoire. En soutenant les tyrans d’Alger, perçus par les Algériens comme étant les marionnettes de la France coloniale, elle montre qu’elle continue de voir les Algériens comme ses indigènes d’antan, des sauvages prompts à la vilenie, qui ne peuvent être gouvernés que par la trique. Tous les accords passés avec les gouvernants algériens successifs, que les autorités françaises ont toujours regardés comme leurs supplétifs d’antan – bachagas, aghas et caïds –, portent cette empreinte coloniale. Et, sous leurs faux airs bravaches et vétilleux quant à la souveraineté du pays, ceux-ci se comportaient avec elles comme des féaux obséquieux. » (Sansal)
Le modèle franco-allemand « Je connais une autre évolution possible, c’est celle que propose la résilience des peuples quand, après un trauma, une autre entente sociale se met en place. C’est ce qui s’est passé entre la France et l’Anglais, “ennemi héréditaire”, entre la France et l’Allemagne, aujourd’hui coopérant économiquement et culturellement, entre la France et ses “petites soeurs” : l’Italie et l’Espagne. Alors pourquoi pas entre la France et l’Algérie ? C’est ce que m’ont expliqué beaucoup de jeunes Algériens : “Je n’ai connu aucune guerre avec la France, mes parents non plus et mes grands-parents étaient enfants dans les années 1950.” Alors pourquoi se rendre prisonniers du passé ? Pourquoi ne pas tisser de nouveaux liens sociaux, amicaux et culturels ?
L’immense majorité de ces peuples le souhaite. C’est possible, à condition de ne pas se laisser embarquer par une contagion émotionnelle organisée par une minorité amère, riche et coupée du réel. » (Cyrulnik)
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« Ne pas se laisser embarquer par une contagion émotionnelle. » B. Cyrulnik