Le nouvel appel de la forêt
Peter Wohlleben, auteur de La Vie secrète des arbres, explore dans L’Homme et la Nature, son nouvel ouvrage, (Les Arènes) ce lien si particulier. Respirez !
Peter Wohlleben pourrait publier son centième ouvrage consacré à la forêt, qu’il saurait toujours nous fasciner avec son monde enchanté. Sous sa plume chlorophyllienne, la moindre souche vermoulue devient un autel à la déesse gauloise Abnoba, associée aux forêts et aux rivières. Lui-même s’interroge : « Le retour à la nature, et particulièrement à la forêt, est-il une tendance nécessairement positive ? Ou bien ne témoigne-t-il pas plutôt d’une fuite hors de la réalité de pans croissants de la population, qui, lassés d’entendre parler de politique et de destruction de l’environnement, se mettent en quête d’un monde préservé qui n’existe pas ? » Mais il trouve vite la réponse : « Venez plutôt avec moi en forêt pour constater à quel point le lien ancestral qui nous unit à la nature est intact. Car il l’est encore ! » Il le décrit si fort ce lien, qu’une fois son livre lu on peut voir l’homme comme un pâle brouillon de l’arbre. Mélangeant subtilement anecdotes et informations scientifiques, Wohlleben parvient à nous convaincre que cette « espèce végétale capable dans de bonnes conditions de croissance de pousser au moins à 5 mètres de hauteur » (définition de l’arbre par la FAO) est un organisme doué de vue, d’odorat, d’ouïe, de toucher et de goût. Croyez-le ou pas, selon Wohlleben, l’arbre possède même un petit coeur qui bat pour hisser la sève jusqu’à sa cime. Mais oui, c’est trop mignon ! À la sortie du confinement, c’est la lecture parfaite.
EXTRAITS
L’effet des caresses
« Si vous enlacez un arbre, il ne se passe rien du point de vue électrique puisqu’il est avéré que vous et lui présentez la même tension. Mais se pourrait-il que l’arbre sente d’une autre manière que vous le touchez ? Il existe bien, chez les jeunes arbres du moins, une possibilité qu’il en soit ainsi. Un phénomène nommé “thigmomorphogenèse” désigne le fait que les plantes poussent moins vite quand on les touche. Il suffit pour cela que vous caressiez vos plants de tomate, par exemple, quelques minutes par jour. Ils poussent alors moins haut et forment une tige plus épaisse.
« Si vous avez observé que des plantes caressées sont en meilleure santé, vous ne vous trompez pas. »
Ce n’est pas là pour autant ■ une preuve d’amour, mais sans doute une simple réaction à des coups de vent présumés, le vent induisant le même comportement chez les plantes. Une hauteur plus faible réduit l’effet de levier qui s’exerce sur les racines quand le vent souffle, et une tige plus grosse stabilise mieux le plant de tomate. Bien entendu, cela vaut également quand un animal frôle une plante en passant et la fait bouger, les moins stables d’entre elles se tordant plus facilement. Il se peut donc parfaitement que cette réaction au contact (et non seulement au vent) fasse partie du répertoire héréditaire des tomates ou des petits arbres.
Si vous avez observé que des plantes caressées sont en meilleure santé, vous ne vous trompez pas. Des scientifiques ont en effet découvert que celles qui sont ainsi cajolées produisent plus d’acide jasmonique. Or cet acide n’agit pas seulement sur la croissance ; il pousse aussi la plante à renforcer sa tige pour gagner en stabilité. Les plantes d’intérieur qui sont privées de cet acide et ont trop peu de lumière tendent, pour leur part, à avoir une pousse principale fine et instable. »
(…)
Le coeur battant de l’arbre « Les dernières découvertes scientifiques ont cependant une nouvelle révélation à nous livrer: le battement de coeur des arbres ! Leur
« Des pulsations qui […] feraient progressivement monter l’eau ? Soit l’équivalent d’un battement de coeur […] »
battement de coeur ? Non, évidemment, les arbres n’ont pas un coeur comme le nôtre, mais il leur faut quelque chose de semblable pour que tout se déroule correctement en eux.
L’eau est à l’arbre ce que le sang est à l’homme. J’ai déjà souvent parlé du transport de ce précieux élément jusqu’au houppier. Mais comment cela se passe-t-il exactement ? Voilà qui reste à élucider. La théorie la plus fréquemment soutenue, selon laquelle le liquide atteindrait les branches les plus élevées grâce à la transpiration, est insuffisante. Elle suppose que de l’eau s’évapore des feuilles, créant dans le tronc une dépression qui fait monter le liquide depuis les racines ou plutôt depuis le sol. Seulement voilà : c’est au début du printemps que la pression de l’eau est la plus forte dans le tronc des feuillus. Or à ce moment-là, l’arbre n’a pas encore de feuilles, si bien qu’aucune évaporation ne peut se produire. Les autres tentatives d’explication (osmose, capillarité) étant également insuffisantes, la perplexité demeure… ou plutôt demeurait! Car le Dr Andras Zlinszky du Balaton Limnological
Institute de Tihany, en Hongrie, éclaire quelque peu notre lanterne. Il y a quelques années déjà, il avait observé, avec des collègues finlandais et autrichiens, que les bouleaux semblaient dormir la nuit. À l’aide de lasers, les chercheurs ont mesuré les arbres par des nuits sans vent et ils ont constaté que l’extrémité de leurs branches s’affaissait d’une dizaine de centimètres. Au lever du soleil, ces dernières remontaient, si bien que les scientifiques ont parlé d’un véritable comportement de sommeil chez les bouleaux.
Le phénomène a, semble-t-il, tellement troublé Andras Zlinszky qu’il a étudié, avec son collègue Anders Barfod, vingt-deux nouveaux arbres de différentes essences. Cette fois encore, il a constaté que les branches montaient et descendaient, mais parfois à un autre rythme : elles ne s’élevaient pas seulement au lever du jour, mais toutes les trois à quatre heures. À quoi cela pouvait-il bien être dû ? Les chercheurs se sont alors intéressés au transport de l’eau. Se pouvait-il que les arbres exécutent en mesure des mouvements de pompage ? D’autres chercheurs avaient bien déjà observé que le diamètre de leur tronc diminuait régulièrement de 0,05 millimètre avant d’augmenter à nouveau. Nos deux scientifiques étaient-ils sur la piste de pulsations qui, du fait des contractions, feraient progressivement monter l’eau ? Soit l’équivalent d’un battement de coeur si lent que nous l’aurions ignoré jusqu’ici ? Pour Zlinszky et Barfod, c’est là une explication plausible de ce qu’ils ont observé et qui rapproche un peu plus les arbres du règne animal.
Un battement toutes les trois à quatre heures, c’est malheureusement trop lent pour que nous le sentions lors de l’étreinte, même pour les plus sensibles d’entre nous. Percevoir les signaux d’un arbre n’est donc pas encore gagné… »
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