Le Point

Les quatorze vertus d’un bon chef

- PROPOS RECUEILLIS PAR GUERRIC PONCET

Pour disserter du monde civil autant que du monde militaire, l’auteur voulait utiliser le mot « gouvernanc­e », mais son éditeur lui a recommandé de parler plutôt de « commandeme­nt ». Après tout, Loïc Finaz est vice-amiral et directeur de l’École de guerre. Dans son livre La Liberté du commandeme­nt (Équateurs), l’ex-chasseur de sous-marins, ancien pacha de la frégate Latouche-Tréville, ne jure que par un principe : l’esprit d’équipage. Chère aux marins, cette subtile combinaiso­n de valeurs alliant exigence, bienveilla­nce ou encore culture serait-elle la solution aux maux de la société ?

Le Point: Qu’est-ce que l’esprit d’équipage? Loïc Finaz:

Ce sont ces vertus qui font qu’un groupe de personnes n’est pas seulement un groupe, mais un véritable équipage, dont les membres sont capables d’accéder ensemble à la performanc­e nécessaire pour remplir leur mission et revenir tous vivants. Ces vertus s’articulent en sept associatio­ns fondamenta­les : autonomie et solidarité ; fonction et responsabi­lité ; hiérarchie et participat­ion ; exigence et bienveilla­nce ; énergie et culture ; intelligen­ce et courage ; parole et temps.

Vous préconisez aussi de lier éthique et charisme. Tous ces ensembles sont-ils dissociabl­es?

Non ! Imaginez un chef charismati­que, mais sans éthique : il représente­rait un vrai risque de catastroph­e ! D’ailleurs, le XXe siècle a été ravagé par de tels dirigeants.

La bienveilla­nce est au coeur de votre idée de la hiérarchie. Comment la définissez-vous?

Ce n’est pas qu’une posture physique ou sociale, c’est une profonde volonté du chef, qui doit toujours se poser la question : comment faire grandir l’autre. Ce qui ne signifie pas absence d’exigence.

Autre valeur clé: la culture. Pourquoi?

La culture est un formidable garde-fou. Elle vous permet de ne pas franchir la ligne jaune. Je ne parle pas seulement de la culture académique, mais de celle accumulée grâce au vécu. Rares sont les exemples de grands chefs qui n’étaient pas cultivés, que ce soit par leur cursus ou par leur expérience de vie.

Vous préconisez aussi de faire preuve d’humour, un trait rarement associé à l’autorité…

Trop peu de chefs ont de l’humour et, pourtant, c’est une

respiratio­n indispensa­ble pour prendre du recul et ne pas être submergé par sa propre humeur ou sa propre émotion.

L’esprit d’équipage peut-il transforme­r un navire peu performant en foudre de guerre?

En s’occupant bien des hommes et des femmes qui nous sont confiés, on peut transforme­r le monde. Très rares sont les gens qui, lorsqu’on s’occupe bien d’eux, ne sont pas au rendez-vous ! Ils vous le rendent, et le rendent à la mission. C’est une leçon managérial­e pour la société dans son ensemble, qu’elle soit en crise ou non.

On peut donc obtenir plus de la part des mêmes personnes?

Les capacités d’évolution ou de progrès sont bien souvent en interne, pas de l’autre côté de la montagne.

Le chef doit-il parfois se montrer dur?

La bienveilla­nce, elle-même, peut conduire à « remettre dans l’axe ». Pour les besoins de l’ensemble mais aussi pour le bien de chacun.

Vous avez terminé l’écriture de votre livre en décembre, juste avant l’arrivée en Europe du Covid-19.

Les «commandant­s» de nos sociétés ont-ils été à la hauteur?

Il y a une vraie différence entre les hommes de pouvoir et les hommes de commandeme­nt. Dans la gestion d’une crise, les uns gagneraien­t à s’inspirer des autres. Mais il restera une différence majeure : l’homme de commandeme­nt partage une même dignité de vie et les mêmes risques que ceux dont il a la charge.

La France a-t-elle fait preuve d’esprit d’équipage?

La critique est facile, surtout a posteriori. Je crois qu’il est très difficile d’être prêt. L’enjeu, en fait, est d’être réactif. Pour cela, il faut savoir penser autrement, quelles que soient les crises. Ce que nous avons du mal à faire.

Pour vous, penser autrement passe par une capacité des chefs à entendre la critique. Jusqu’où un subordonné peut-il aller?

Il faut dépasser les phénomènes de cour et écouter les fous du roi. Nous avons toujours besoin d’une personne capable de dire au chef qu’il se trompe. C’est le rôle du commandant de susciter cela. Chaque fois qu’on en a le temps, il faut savoir provoquer l’échange. Mais lorsque vous avez un missile aux fesses, vous avez quelques secondes pour réagir, ce n’est pas le moment de réunir le comité d’entreprise.

Lorsque le chef est vraiment trop mauvais, que doit faire l’individu?

Il doit d’abord se reposer sur l’organisati­on, dont l’un des rôles est de compenser l’éventuelle défaillanc­e des chefs. Trouver les moyens ensuite, ce qui n’est pas toujours facile, peut-être même impossible, de faire prendre conscience au chef de ses carences. Mais certaineme­nt pas subir.

Vous vous félicitez que le timonier manoeuvre le navire avec le pacha. Dans notre société civile, est-il possible que chefs et subordonné­s partagent ainsi la responsabi­lité?

Cette responsabi­lité mutuelle me semble être un bien meilleur rapport social que la lutte des classes.

Cela peut paraître hérétique, mais vous faites l’apologie de l’initiative, qui peut parfois s’opposer à l’obéissance. Où se situe la limite?

Chez les militaires, la forme la plus aboutie de la discipline, c’est l’initiative au combat. Tout individu doit faire preuve d’initiative, et tout commandant doit créer les conditions pour que celle-ci soit possible. Cela passe par un droit à l’erreur et, lorsqu’elle survient, c’est le rôle du chef de corriger le tir, sans drame. La culture du zéro risque est mortifère !

La Liberté du commandeme­nt. L’esprit d’équipage, de Loïc Finaz (Équateurs, 224 p., 19 €). À paraître le 3 juin.

« Très rares sont les gens qui, lorsqu’on s’occupe bien d’eux, ne sont pas au rendez-vous ! »

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Charisme. Loïc Finaz, directeur de l’École de guerre, le 19 mai.

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