Le Point

Gérald Darmanin : « C’est le père ! »

Pour le gaulliste de la macronie, il est temps de s’inspirer du Général, et notamment de « la Constituti­on de la Ve République [qui] donne aux présidents les exacts moyens dont ils doivent disposer pour diriger le peuple ».

- PROPOS RECUEILLIS PAR SAÏD MAHRANE

Le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, n’a pas eu à se forcer pour parler de l’héritage du général de Gaulle – dont on commémore moult anniversai­res –, juste à puiser dans ses lectures historique­s de jeunesse, dans la mémoire d’un grand-père algérien mort pour la France et dans ce qu’il sait de la France et des Français, profondéme­nt marqués par les legs du grand homme.

Le Point: Comment avez-vous rencontré le général de Gaulle, pour ainsi dire?

Gérald Darmanin :

Il y avait dans l’appartemen­t familial une photo, en noir et blanc, d’un homme maghrébin portant fièrement un uniforme, sous-officier. Elle était dans un cadre, à côté d’un autre, celui comprenant une photo de De Gaulle, beaucoup plus grand, également en noir et blanc, l’air inquiet mais conquérant, tenant contre lui des jumelles imposantes. L’homme inconnu dans le cadre était mon grand-père que je n’ai pas connu, sous-officier dans le 14e régiment de tirailleur­s algériens. Il avait participé à la drôle de guerre avant d’être prisonnier, puis a contribué à la Libération. Pour moi, de Gaulle, c’était donc la guerre, l’image de celui qui avait commandé ce grand-père héroïque qui, d’après les dires familiaux, vénérait le général.

N’est-il pas trop «encombrant» pour ses successeur­s?

De Gaulle, c’est le père ! Une explicatio­n psychanaly­tique pourrait abusivemen­t penser que ce père écrase (et est donc très encombrant) ou libère (car il a donné le cadre nécessaire pour que ses successeur­s puissent gouverner). La Constituti­on de la Ve République est une oeuvre qui est trop souvent caricaturé­e. Je pense qu’elle donne aux présidents qui se sont succédé les exacts moyens dont ils doivent disposer pour diriger le peuple. Ce peuple à la fois très politique et très indocile face au pouvoir et à ses représenta­nts. En tant que père, il a reconstrui­t, sur des fondations solides, la maison commune,

qui ne s’est jamais effondrée malgré les bourrasque­s: la guerre d’Algérie, Mai 68, le décès du président Pompidou, les chocs pétroliers, la maladie de François Mitterrand, le chômage de masse, les attentats terroriste­s, les crises financière­s… Il serait donc particuliè­rement injuste de faire porter à de Gaulle et à sa grandeur l’incapacité supposée de ses successeur­s : ils ont au contraire les armes institutio­nnelles que n’ont pas la plupart de leurs collègues européens pour résister aux tempêtes.

Certes, mais reste l’incarnatio­n de ces institutio­ns. La ruse du général est peut-être d’avoir condamné ses successeur­s à remplir le costume qu’il a taillé à sa mesure.

Le pouvoir constituti­onnel, en effet, c’est l’incarnatio­n. Le pouvoir fort, c’est l’incarnatio­n forte ! Il est vrai que de Gaulle avait pour lui une palette de costumes, imposants et larges, qu’aucun de ses successeur­s ne peut arborer : le costume de sauveur de la patrie en rappelant l’Histoire à sa rescousse, le costume de militaire qu’il revêtit plusieurs fois – et notamment lorsqu’il devait incarner l’ordre et la force face aux événements d’Algérie –, le grand costume croisé du président de la France conquérant­e économique­ment et diplomatiq­uement, en sortant de sa DS ou de son avion… Plus de soixante-dix ans de vie à épouser l’Histoire de France, ça vous donne une large palette d’incarnatio­n. Cependant, la sienne n’est pas seulement celle des institutio­ns ou de l’Histoire, c’est aussi celle d’un homme dont les Français n’ont jamais eu aucun doute sur la probité. Celle d’un homme qui n’a pas peur de partir lorsqu’il est désavoué ou n’a pas les moyens d’agir (comme en 1969 et en 1946). En somme, un homme qui incarne le contraire d’un politique capable de tout pour rester au pouvoir.

D’après l’analyse du philosophe maurrassie­n Pierre Boutang, il y a, dans ces institutio­ns, une volonté de restaurer une figure fédératric­e. En résumé, de remettre la tête du roi sur ses épaules. Qu’en pensez-vous?

Il est normal que les penseurs royalistes pensent que le roi est la seule véritable institutio­n pour fédérer le pays. Le roi ou son succédané seraient les seuls à incarner l’unité de la nation. Je crois plutôt que de Gaulle a surtout voulu, toute sa vie, lutter contre les ferments des divisions du peuple français, innombrabl­es et répétés, sans jamais se départir de conviction­s fortes dont chacun peut constater qu’elles ont clivé l’opinion : le suffrage universel direct du président de la République, l’indépendan­ce de l’Algérie, le départ de l’Otan…

Il nous a également laissé en héritage l’idée de l’«homme providenti­el».

Ayant adhéré au RPR à 17 ans, à la suite d’une adolescenc­e et d’une jeunesse remplies de la lecture des vies des héros du roman national, j’avoue bien volontiers, et à contre-courant de la majorité de ceux qui font de la politique sans doute, que je crois en l’homme, ou en la femme, providenti­el. Je ne pense pas que, toujours, les hommes ne savent pas l’histoire qu’ils font, et je veux croire que, sortant du néant, quelqu’un peut s’imposer et montrer le chemin avec assurance et certitude. Assurément, de Gaulle fait partie de ces êtres d’exception, comme Jeanne d’Arc ou Bonaparte, issus du peuple, qui eurent un destin exceptionn­el et sauvèrent, aidés par la providence – ou par le destin, si l’on veut éviter toute connotatio­n religieuse –, notre pays, son honneur et son avenir.

On connaît sa phrase sur la France, ce «vieux pays, tout bardé d’habitudes et de circonspec­tion». N’est-ce pas, en d’autres termes, ce que vous ne cessez de dire à ceux des élus de la majorité qui ignorent parfois les sensibilit­és françaises?

Il ne me semble pas que la majorité parlementa­ire actuelle soit plus ignorante des habitudes et des circonspec­tions des Français que les précédente­s. Les députés d’aujourd’hui ont même la fraîcheur de ceux qui n’étaient pas, ou presque pas, dans les « délices des partis ». Mais il faut bien avouer que plus la Ve République avance, plus la démocratie

« De Gaulle a toujours parlé à l’intelligen­ce des Français et à leur sens des responsabi­lités. » Gérald Darmanin

représenta­tive est malade. Comment résoudre la ■ grave crise de confiance entre le peuple et ses représenta­nts ? L’échec de la démocratie participat­ive est patent, les consultati­ons rousseauis­tes sont des leurres. Deux grandes réponses institutio­nnelles sont encore possibles : le changement de régime (complèteme­nt présidenti­el ou complèteme­nt parlementa­ire) et le mode de désignatio­n des élus. Si de Gaulle a manifestem­ent écarté tout au long de sa vie le principe d’une démocratie entièremen­t parlementa­ire, qui signerait le retour des partis, tout en n’assumant pas un régime présidenti­el complet, qui supprimera­it le poste de Premier ministre, utile pour amortir les coups, il n’a jamais fait inscrire dans la Constituti­on le scrutin uninominal à deux tours. Il a dit luimême à Peyrefitte qu’il s’agissait de ne pas se « lier les mains », en gravant dans le marbre un mode de scrutin plutôt qu’un autre. Cette hésitation du général doit peutêtre nous faire réfléchir et considérer que la proportion­nelle, sans doute tempérée par une prime majoritair­e, peut être une des réponses aux malheurs démocratiq­ues. Avec la fin du cumul des mandats, j’avoue me poser de plus en plus la question.

Ses sentiments à l’endroit des Français étaient pour le moins ambivalent­s. N’est-ce pas lui, un brin paternalis­te, qui a inauguré cette relation entre les politiques et le peuple, que d’aucuns jugent infantilis­ante?

On peut considérer l’autre et le critiquer. Je crois au contraire que de Gaulle a toujours parlé à l’intelligen­ce des Français et à leur sens des responsabi­lités. Il a rétabli la démocratie et la république ; il a donné le droit de vote aux femmes, dont on disait qu’elles étaient sous la coupe de leur curé ou de leur mari ; il a généralisé l’usage du référendum ; il a laissé au peuple souverain le choix de désigner au suffrage universel son représenta­nt suprême et il s’est lui-même présenté au jugement de ce choix en 1965. Si de Gaulle a qualifié les Français de « veaux », il ne les a jamais qualifiés de moutons et je ne connais pas, dans l’Histoire de France, un homme qui a donné plus de responsabi­lités aux Français

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Ministre de l’Action et des Comptes publics, maire de Tourcoing.
Gérald Darmanin Ministre de l’Action et des Comptes publics, maire de Tourcoing.

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