L’imposture gaulliste
Un homme, dès 1945, a dénoncé violemment et brillamment les dérives du Général : Henri de Kerillis. Voici quelques extraits de son brûlot republié.
On connaît la phrase de Malraux : « Tout le monde a été, est ou sera gaulliste. » Henri de Kerillis, lui, aurait pu l’être mais ne le fut pas. Il fut mêmele plus violent des antigaullistes à l’heure où tout le monde l’était, ou presque, en 1944. Témoin, ce De Gaulle dictateur, republié par Perrin, l’ouvrage d’un amoureux déçu qui poursuit de sa haine l’objet de son dépit.
Le 15 juin 1940, soit deux jours avant de Gaulle, Kerillis (1889-1958), grande plume de l’Écho de
Paris, opposant de la première heure à Hitler et à l’esprit de Munich, seul député de droite qui ne votera pas les pleins pouvoirs à Pétain, est déjà à Londres. Ses offres de service sont rejetées par le Général, qui refuse de l’adouber comme représentant de la France libre au Canada et aux ÉtatsUnis. Le 20 mars 1943, Kerillis écrit dans son journal : « Adieu de Gaulle », avant de rallier le général Giraud, qui «pratique la guerre à outrance quand de Gaulle pratique la politique à outrance ».
En 1945, il publie à New York un brûlot dans lequel il développe deux chefs d’accusation qui circulent à Londres et à Alger: à l’instar de Pétain, de Gaulle a violé la Constitution ; il lui reproche aussi la pire ingratitude envers les Alliés, sans qui il ne serait rien. De Gaulle dictateur est un livre qui dérange. Injuste quand le pamphlet, s’abandonnant à sa marotte, dépeint un Général entouré de cagoulards, troublant quand le réquisitoire précis fait défiler une contre-histoire du gaullisme pendant la guerre. L’obsessionnel Kerillis repasse au noir les décisions d’un Général diviseur, égoïste et assoiffé de pouvoir. Inutile de dire qu’en 1945 l’écho de ce livre discordant ne fut pas assourdissant. Mais, à l’heure du politiquement correct gaulliste, à l’heure où démocratie et dictature se regardent dans un miroir déformant, il est recommandé de découvrir ce brillant ovni ■
Pétain, de Gaulle : d’un usurpateur l’autre
Le 23 septembre 1941, dans son discours à la radio de Londres, il disait aux Français : « La Constitution et les lois de la République ont été violées et sont violées tous les jours par l’envahisseur et ses complices. Nous ne reconnaissons aucune de ces violations. » Son manifeste du 23 juin 1942 intitulé « Ce que nous voulons » disait encore : « Toute usurpation, qu’elle vienne du dedans ou qu’elle vienne du dehors, doit être balayée… En même temps que les Français seront libérés de l’oppression ennemie, toutes leurs libertés intérieures leur seront rendues. » Or, aucune de ces promesses solennelles ne fut tenue. L’usurpation Pétain fut remplacée par l’usurpation de Gaulle. La Constitution
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violée par le Maréchal le fut ensuite par le Général. Les ■ libertés intérieures retirées par le premier ne furent pas rendues par le second.
De Gaulle, nouveau Fregoli
Il n’y a pas de doctrine gaulliste. Tour à tour, le général de Gaulle s’est présenté comme le héros de la guerre à outrance et le démolisseur de l’armée ; comme le sauveur de la IIIe République, comme l’espoir des partis de gauche et celui de la réaction ; comme le chef d’une grande révolution sociale et celui des conservateurs sociaux; comme le représentant de la Résistance et le «briseur» de la Résistance; comme l’ennemi irréductible de Vichy et le continuateur, à bien des égards, du maréchal Pétain ; comme l’adversaire puis comme l’ami des Russes, des Américains, des Anglais. On se croirait devant une transposition, sur la scène publique, du génial artiste Fregoli qui, pendant près d’un demi-siècle, attirait dans les cirques de France et de l’Europe entière des foules émerveillées, à cause de la vitesse prodigieuse avec laquelle il apparaissait sous les déguisements les plus différents.
Cependant, de Gaulle essaie de donner naissance à un néonationalisme susceptible et ombrageux. Il pose en super-patriote. Il est le prédicateur d’une doctrine qui plaît aux oreilles françaises douloureuses et humiliées. (…) Il oublie trop que ce que la France doit être d’abord, c’est une grande puissance morale, et aussi une grande puissance de l’esprit qui apporte dans un monde à la dérive des idées, des plans, des systèmes et des lumières. Or, le gaullisme n’a rien offert, rien proposé. Dans l’exil, il s’est roulé dans l’intrigue et il a symbolisé l’absence totale du génie français.
Les dictateurs ont besoin de l’agitation, des diversions, des revendications perpétuelles pour détourner et canaliser les mécontents. La fausse gloire leur est nécessaire quand ils ne peuvent produire la gloire authentique. La course aux lauriers – réels ou chimériques – est la fatalité tragique de leur destin, celle qui a conduit Napoléon Ier dans les folles chevauchées de Moscou, Napoléon III vers les rivages lointains du Mexique, Mussolini au fond de la sauvage Éthiopie, Hitler au pied des montagnes du Caucase. Le général de Gaulle doit limiter ses ambitions, car les aventures romantiques et glorieuses ne sont pas à sa portée. Il est à la tête d’un malheureux pays épuisé qui revient des bords de la tombe. Il commande un peuple devenu un fantôme de misère et de faim. Il règne sur des ruines et sur des dévastations. Il lui faut donc se borner à des éclats de coulisse diplomatiques
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« Dans l’exil, [de Gaulle] s’est roulé dans l’intrigue et il a symbolisé l’absence totale du génie français. »