Le Point

Jean-Loup Dabadie, mon ami, par Marc Lambron

L'académicie­n retrace le parcours de l’« écrivain de France », disparu à 81 ans, qui « sculptait ses contempora­ins d’un ciseau de lucidité et de brises marines ».

- PAR MARC LAMBRON, DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Il était l’homme le moins fait pour l'imparfait. Je salue avec une infinie tristesse le départ de mon camarade de l’Académie, Jean-Loup Dabadie, le charme de son inoubliabl­e sourire, sa chaleur comme d’un Méridional de Paris, sa présence si attentive – c’était une grâce que d’entrer dans le cercle de son amitié. Générosité, humour, élégance, affection n’étaient pas des vains mots en ce qui le concernait.

Ce très bon élève avait été admis l’été de ses 18 ans comme stagiaire au TNP de Jean Vilar. Il en gardera l’idée que la scène reflète la vie mais peut aussi en rebattre les cartes. Romancier à 21 ans avec Les Yeux secs, éphémère membre du groupe Tel Quel, il avait un temps travaillé sous l’égide de Pierre Lazareff, avant de devenir le scénariste et le dialoguist­e que l’on sait. À son palmarès, pour ne citer que quelques titres, Les Choses de la vie et La Gifle, Le Silencieux et Le Sauvage, Nous irons tous au paradis et Une histoire simple. Toujours sur le pont des mots, il venait d’achever l’adaptation d'un roman de Simenon. C’était un façonnier des chagrins ordinaires et un psychologu­e des empathies complexes.

Dans l’histoire du cinéma français, il y aura eu l’ère Jeanson ou Prévert, les rapidités de Pascal Jardin et la touche Dabadie. J’avais coutume de lui dire que deux hommes avaient façonné le climat français des années 1970 : son voisin de fauteuil à l’Académie Valéry Giscard d’Estaing, pour les décrispati­ons du libéralism­e avancé, et Jean-Loup Dabadie pour ces portraits de copains sensibles, rugueux et paumés, les fêlures de la quarantain­e dans la voix de Serge Reggiani, les femmes douces qui rêvaient en écoutant « Ma préférence », les envolées de la mouette Polnareff. Pour Yves Robert, Claude Pinoteau et une seule fois Truffaut, il avait été ce que ce dernier définissai­t comme un « écrivain de spectacles ». Sans compter les sketchs composés pour Guy Bedos, Sylvie Joly ou Muriel Robin. Écrivain de France, captant et précédant les humeurs d’une société tendre et heurtée, Jean-Loup sculptait ses contempora­ins d’un ciseau de lucidité et de brises marines, attaché qu’il était au rivage de son île de Ré.

Peintre de femmes par ses textes, il sut habiller le mystère vivant de Romy Schneider, Catherine Deneuve ou Isabelle Adjani, mais adorait avant tout son épouse, Véronique, dont le visage ornait en médaillon la poignée de son épée d'académicie­n. C’était un seigneur sur le court de tennis comme à la nuit des Césars. On ne saurait mieux définir Dabadie que comme un homme qui savait aimer. Très généreux, rieur, entier, mais cinglant et droit dans ses allergies, Jean-Loup prisait la conversati­on à la française, avec ces traits de l’homme de spectacle qui sait trousser l’anecdote de coulisse. Il se souvenait d’avoir vu Frank Sinatra apparaître au bord de la piscine de l’hôtel du Palais, à Biarritz, tandis qu'un sbire posait sur un Teppaz un disque du chanteur, qui se baignait ainsi au son de sa musique devant des estivants ravis. Il racontait comment Yves Montand, pour la préparatio­n du Sauvage, l’avait convoqué dans une chambre de l'hôtel Méridien de la porte Maillot pour lui faire récrire des dialogues dans le dos de JeanPaul Rappeneau – ce que Dabadie avait refusé. Et ce raccourci qui l’avait vu dîner un soir à Paris avec Catherine Deneuve et Marcello Mastroiann­i, et le lendemain soir à Rome avec le même Mastroiann­i et son épouse légitime, un remède à l’amour du théâtre d'avant-garde italien.

J’ai beaucoup communiqué avec lui pendant le confinemen­t. Comme je l’interrogea­is à la mort de Michel Piccoli sur ses rapports avec l'acteur, il me répondit : « Je l’aimais infiniment. » Le dernier message ainsi reçu de lui, six jours avant sa disparitio­n, porte le verbe « aimer ». On rediffusa à cette occasion quelques films de Claude Sautet et j’entendais dans la bouche de ces acteurs disparus les mots, presque les accents, de mon ami. Sur mon agenda, je retrouve la date d’un dernier dîner chez Véronique et JeanLoup Dabadie, le dimanche 9 février 2020, en compagnie de Pierre Bénichou et de sa compagne. Qui pouvait savoir que le destin flottait au-dessus de nos têtes ? Quand j’ai appris la mort de Jean-Loup, j’ai aussitôt appelé Erik Orsenna au téléphone. Il était en larmes. Et moi aussi

« Comme je l’interrogea­is à la mort de Michel Piccoli sur ses rapports avec l’acteur, il me répondit : “Je l’aimais infiniment.” »

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Solaire. Séance photo à Saint-Martin, en 1990.

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