Le Point

Roman – L’amour au temps du corona (Franz-Olivier Giesbert)

Entre Covid-30 et archéofutu­r, entre ici-maintenant et demain-hier, l’hilarante fable autobiogra­phique d’un sosie de FOG…

- PAR JEAN-PAUL ENTHOVEN

L’espace-temps romanesque est une substance docile, surtout quand on s’en sert pour fabriquer des fables (dystopies, uchronies, utopies…) que les écrivains saupoudren­t volontiers d’hier et de tout de suite, de suivez-mon-regard et de vous-n’avez-encore-rien-vu. C’est à ce genre littéraire ironique et ultra-efficace – où se sont illustrés les meilleurs, d’Orwell au Houellebec­q de Soumission – que Franz-Olivier Giesbert emprunte aujourd’hui, en plein déconfinem­ent, l’encre rieuse et noire dont il avait besoin pour décrire un présent qui se défait sous ses yeux. En vérité, FOG n’en doute pas : pour son oeil acide et lucide, l’époque, la nôtre, se rue mollement vers l’abîme.

Car si ce gioniste (tendance Regain et Colline) s’est beaucoup réjoui dans le beau royaume de France, s’il s’y est bien amusé, il constate aussi que, depuis quelque temps, le pourri et le moisi y gagnent chaque jour du terrain. D’où ce roman inattendu qui devance un peu l’avenir – d’une petite dizaine d’années, pas davantage. C’est ainsi que ce Dernier Été se propose de faire la chronique de l’année 2030, quand Franz-Olivier Giesbert, alias Antoine Bradsock (son sosie, son double littéraire, déjà repéré dans Un très grand amour) sera devenu un respectabl­e octogénair­e, habitué du Cercle des nageurs, cette version marseillai­se du paradis. Là, entre pastis et traitement anticancér­eux, l’alter ego du romancier rencontre une femme, prend la décision de l’aimer – puisqu’il faut toujours un dernier amour au dernier été de la vie. Il sait qu’il n’en a pas pour longtemps. Mais ce qui le navre, c’est que la France, qu’il chérit, en a pour moins longtemps encore. Que se passe-t-il donc en 2030 ? Allons, il suffit d’extrapoler…

Primo, il fait très chaud dans cette France de demain-maintenant, disons qu’il y règne même une canicule carabinée, genre 50 °C dès le réveil. Avec, de surcroît, une petite pandémie de Covid-30, un virus aussi pervers, quoique moins mortel, que son ancêtre no 19, et très performant dans l’art de dévitalise­r des humains exténués par dix ans de braderie intellectu­elle et morale. Secundo – et c’est le plus important dans ce récit rétroprosp­ectif –, il y sévit un autre virus, plus immatériel, plus ravageur, plus avide d’âmes, et qui n’a pas encore de nom, mais dont

les conséquenc­es sont déjà répertorié­es. Ce virus-là inocule la lâcheté, l’esprit collabo, le renoncemen­t, l’islamo-gauchisme, le défaitisme devant l’ennemi, et FOG en explore chaque (future et déjà présente) grimace.

Au fond, la France de 2030 pourrait bien être ce pays soumis, noyé par la haine de soi, où le « Parti du Bien » (merci, monsieur Muray) règne sans partage. Là, on interdit le rire (d’ailleurs Ruquier est déporté) ; on impose une restrictio­n drastique des coïts conjugaux ; on remplace Noël par une « journée de la dépolanski­sation », etc. On y étend même la notion de harcèlemen­t sexuel au clin d’oeil et au baisemain tout en organisant, dans la cour d’honneur des Invalides, les obsèques nationales d’un Edwy Plenel grand prêtre de l’islamo-gauchisme et président du « Haut Comité de la Morale et de la Déontologi­e ». Dans ce pays-là, et tandis que la Belgique proclame la naissance de la première République islamique d’Europe, une « Commission Busnel » se charge d’éliminer les ouvrages sacrilèges, de Julien Green à Richard Millet en passant par Bret Easton Ellis. Est-ce que Giesbert en fait trop ? À chacun d’en juger. Mais son réquisitoi­re est inquiétant. Et hilarant.

C’est dire que le héros de ce roman houellebec­quien, crépuscula­ire mais jubilant n’a plus tellement sa place dans ce futur monde pasteurisé. Cancéreux, végétarien, épicurien, intranquil­le et citoyen d’une Provence où persiste une ombre de joie de vivre et « où l’on parle encore pour le plaisir de parler » –, il attend la fin. Face à lui, son dernier amour tient registre et écrit le roman qu’on est en train de lire. Sur ce coup-là, Giesbert – qui n’aime que la nature et l’amour – se la joue un peu Mort d’Ivan Ilitch, avec accent du Midi. Sa prose est baroque, goguenarde, sans illusions face à la pandémie de lassitude qui se répand. Évidemment, ça finira mal. Mais qu’est-ce qui finit bien dans la vie ?

Dernier Été, par Franz-Olivier Giesbert (Gallimard, 208 p., 18 €).

« DERNIER ÉTÉ », EXTRAIT

1er JOUR. J’ai été réveillée en sursaut au petit matin, par un coup de feu, en bas de mon immeuble. Trois autres détonation­s ont suivi, accompagné­es de cris de l’autre monde. J’ai été voir à la fenêtre. C’était encore une émeute de la chaleur. En l’espèce, des étudiants qui avaient manifesté toute la nuit contre la canicule, le chômage, la précarité. Alors qu’ils essayaient de mettre le feu à des poubelles, des policiers leur avaient tiré dessus après les sommations d’usage. Bilan : trois morts et neuf blessés.

À ces étudiants s’étaient mêlés, il est vrai, des militants de deux groupuscul­es, les Enragés et les Exagérés, qui s’appelaient ainsi en hommage aux mouvements radicaux de la Révolution française, très actifs pendant la Terreur de 1793.

Les Enragés et les Exagérés avaient annoncé qu’ils lutteraien­t, les armes à la main, contre la campagne de dépistage systématiq­ue du Covid-30, la grippe qui arrivait de Chine : selon eux, c’était une atteinte aux libertés, d’autant que la maladie pourrait avoir des effets positifs sur la société en la confrontan­t aux limites du système. Edwy Plenel, qu’ils présentaie­nt comme leur inspirateu­r, n’avait-il pas salué, dix ans plus tôt, en 2020, l’apparition du coronaviru­s, le jugeant « révolution­naire » parce qu’il avait « fait un krach boursier » ?

FOG n’en doute pas : pour son oeil acide et lucide, l’époque, la nôtre, se rue mollement vers l’abîme.

 ??  ?? Acide. FranzOlivi­er Giesbert dépeint une France de 2030 sous canicule et noyée par la haine de soi.
Acide. FranzOlivi­er Giesbert dépeint une France de 2030 sous canicule et noyée par la haine de soi.

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