Le père de l’euro contre la dette commune
C’est le Canadien Robert Mundell, 87 ans, économiste visionnaire ayant enseigné dans de prestigieuses universités américaines, qui a jeté dès 1961 les bases d’une union monétaire. Il a été distingué par le prix de la Banque de Suède, le « prix Nobel d’économie », en 1999, année où la monnaie unique européenne, qu’il a inspirée, a été mise en circulation. Robert Mundell (photo) a décrit les conditions pour qu’une zone monétaire fonctionne de manière « optimale » : une mobilité parfaite du capital et du travail éloigne tout risque d’inflation. Dans le monde réel cependant, l’union monétaire n’est jamais optimale.
Il prône alors des transferts budgétaires vers les régions les moins prospères. Mais il déconseille tout endettement commun, qui déresponsabilise les États et encourage le dérapage des finances publiques. Un ministre des Finances commun doit être chargé de contraindre les États membres à respecter la discipline budgétaire en mettant à l’amende ceux qui s’en écartent. « Une union monétaire ne peut pas exister sans stabilité budgétaire », explique Mundell. Selon lui, la crise de 2010-2013 en Europe n’était pas une crise de l’euro mais une crise du laxisme budgétaire. Le problème ne s’est pas arrangé depuis.
arrivé toutefois sous la présidence d’Emmanuel Macron. Le 9 mai 2019, au sommet informel de Sibiu, l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 a été introduit pour la première fois dans le débat entre les leaders européens. Si tout le monde – sauf la Pologne – s’est aujourd’hui approprié cet objectif commun de long terme, à l’époque, seuls neuf États membres soutenaient la proposition. Merkel s’y est ralliée plus tard. Le président français en tire l’enseignement que ce n’est pas parce que l’Allemagne commence par dire « Nein » qu’elle ne dira jamais « Ja ». Il retente le coup avec la dette commune de l’Europe… Un gros pari.
Mais le plus important, avant le conseil du 26 mars, consiste à fracturer un double clivage Nord-Sud
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et gauche-droite et à couper l’herbe sous le pied ■ des adversaires prêts à réciter la fable des « cigales qui profitent des fourmis ». Les sherpas s’activent. La liste des signataires s’allonge pour atteindre neuf États membres, représentant 60 % du PIB européen. Il y a eu des débauchages surprenants. Le plus important est le ralliement de l’Irlandais Leo Varadkar, un libéral tenté de regarder vers Trump quand il faut préserver sa niche « Google ». L’Irlande se range généralement du côté de la « nouvelle ligue hanséatique », le club des Pays-Bas, les Scandinaves et les pays Baltes.
Surprise. Bravant les clivages politiques, le Grec Kyriakos Mitsotakis décide lui aussi de signer. Surprise : le Premier ministre grec est considéré comme un proche de Merkel au sein du PPE, le parti chrétiendémocrate européen, auquel ils adhèrent tous deux. Il passe pour un partisan de la gestion rigoureuse à qui les réformes ne font pas peur. Mais cette fois, il fait faux bond à Merkel et rallie Macron, Conte et Sanchez. «Mitsotakis, personne ne peut le taxer de laxisme budgétaire », souligne-t-on en France. Lors du Conseil européen du 26 mars, il se montrera du reste assez ferme sur l’engagement de solidarité qu’il attend de l’Union européenne. À noter: contrairement à l’Italie, la Grèce – pourtant appauvrie par les crises – a su endiguer la pandémie dans la péninsule hellénique. Le pays fait partie des États membres les moins affectés avec 171 décès pour 2 878 cas confirmés (au 25 mai).
Le sommet du 26 mars se déroule mal. Le Néerlandais Mark Rutte prend à partie l’Italien Conte et considère qu’il n’a pas à payer pour les hôpitaux italiens. «Je ne vais pas faire les réformes à votre place», s’entend dire Conte, qui lutte avec une pandémie difficile à maîtriser. Angela Merkel est ébranlée. Elle assiste à la violence des échanges et réalise que l’Union européenne est en danger de mort. C’est le premier pas dans sa réflexion : il faut faire quelque chose. Elle commence par déclarer qu’elle veut augmenter fortement sa contribution au budget européen. Mais bien vite, elle réalise qu’à part l’Allemagne personne n’est en mesure d’en faire autant et que même une hausse de la contribution allemande est loin de suffire aux besoins. Une crise économique gravissime se profile et les premières analyses du FMI, qui tombent à la mi-avril, sont terribles : – 7,5 % pour la zone euro en 2020 ; – 7 % pour l’Allemagne ; – 7,2 % pour la France… Personne n’est épargné ; l’interdépendance du marché unique est tel que l’affaissement de l’un conduit les autres à la même ruine.
C’est à ce moment-là qu’elle convient, lors de ces échanges avec Macron, que la « solidarité » européenne est nécessaire, sans pour autant franchir le Rubicon
Angela Merkel assiste à la violence des échanges et réalise que l’Union européenne est en danger de mort.