Le Point

Cyrulnik et Sansal, la résilience franco-algérienne

Le neuropsych­iatre et l’écrivain tentent de réconcilie­r les mémoires des deux pays.

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Le 8 mai, en plein Covid-19, qui a mis un terme – provisoire ? – aux manifestat­ions du Hirak, le président algérien Tebboune a fait deux annonces passées inaperçues en France : le lancement d’une chaîne télévisée consacrée à l’Histoire et l’institutio­n de la journée du 8 mai, « journée nationale de la mémoire », en référence aux massacres du 8 mai 1945 perpétrés par l’armée française. Mais quelle Histoire ? Quelle mémoire ? C’est une des questions que soulève l’écrivain algérien Boualem Sansal dans son dialogue* avec l’essayiste Boris Cyrulnik. « Il faut se souvenir que l’Histoire officielle du pays, écrite par une commission d’apparatchi­ks du FLN, est toujours au programme scolaire ; elle commence par la conquête arabe (647-709) et réserve l’essentiel de ses pages à la colonisati­on française (1830-1962) et à la guerre de libération (1954-1962). » Dans cet ouvrage, Sansal, qui dénonce le mythe des 1,5 million de martyrs de la guerre instauré par Ben Bella en 1963, en appelle à une histoire longue et complexe. Il souligne la multiplici­té des colonisati­ons et la permanence de la structure tribale de l’Algérie, qui perdure avec le partage économique du pays entre quelques familles.

Sur le plan mémoriel, les relations franco-algérienne­s ont déjà été plus mauvaises : en 2005, quand un projet de loi souhaita que nos manuels reconnaiss­ent le rôle positif de notre présence outremer, Bouteflika évoqua « le génocide de l’identité algérienne ». Depuis, la France a fait quelques concession­s sur la reconnaiss­ance de l’usage de la torture pendant la guerre (notamment dans la mort de Maurice Audin), les massacres du 8 mai 1945, les pensions versées aux soldats indigènes. Après quelques volte-face, Emmanuel Macron a déclaré que cette guerre d’Algérie n’était pas la sienne. Mais en inscrivant pour septembre 2020 la journée des harkis, abandonnés par la France mais massacrés par le FLN, parmi les priorités mémorielle­s, la France a fait pression sur l’Algérie. Celle-ci, qui n’a jamais officielle­ment demandé à Paris une « repentance », brandit régulièrem­ent les mânes de la guerre pour faire bloc. Les jeunes manifestan­ts du Hirak voulaient, eux, clairement tourner la page de ce passé. Mais, pour se réconcilie­r, il faut être deux. Pas d’avancée possible sans changement politique spectacula­ire en Algérie. Dans ce France-Algérie, Sansal et Cyrulnik revisitent avec précision les dernières décennies souvent méconnues de l’Histoire algérienne afin de localiser les points de tension. Un livre qui montre bien que ces relations ont toujours été confisquée­s à des fins politiques. Ce qui évidemment ne plaira guère à Alger

« France-Algérie. Résilience et réconcilia­tion en Méditerran­ée », de Boris Cyrulnik et Boualem Sansal (Odile Jacob, 280 p., 18,90 €).

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Alger, 11 septembre 1962. Ahmed Ben Bella (à g.), alors chef du gouverneme­nt algérien, et Houari Boumediene.
Indépendan­ce. Alger, 11 septembre 1962. Ahmed Ben Bella (à g.), alors chef du gouverneme­nt algérien, et Houari Boumediene.

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