Le Point

Tragique Brésil

En transforma­nt son pays en laboratoir­e du populisme, Jair Bolsonaro le plonge dans le chaos.

- Par Nicolas Baverez

Après les États-Unis, le Brésil est devenu l’épicentre de l’épidémie de Covid-19. Avec 1 000 morts par jour, il est désormais le quatrième pays le plus touché et devrait rapidement prendre la deuxième place après les États-Unis, alors même que les statistiqu­es officielle­s sous-estiment fortement le nombre des victimes comme celui des cas de contaminat­ion.

Le désastre sanitaire s’accompagne d’un effondreme­nt économique. Le Brésil cumule en effet l’impact de la pandémie avec la chute du prix des matières premières et de l’énergie, ainsi que le fort ralentisse­ment de la Chine, qui absorbe le quart de ses exportatio­ns. La récession atteindra 7 % du PIB en 2020, entraînant une hausse du chômage de 12,2 % à 18 % de la population active et une baisse de 20 % de l’investisse­ment. La dette publique bondira à plus de 90 % du PIB. Enfin, la fuite des capitaux accélère la dévaluatio­n du réal, qui a perdu 40 % de sa valeur face au dollar depuis le début de l’année. Avec une croissance attendue autour de 4 % en 2021, le Brésil mettra plusieurs années à retrouver son niveau de richesse de 2019. D’où une baisse des revenus qui aggravera la crise sociale et humanitair­e – que l’aide de 600 réaux, soit 100 euros, alloués aux ménages les plus pauvres est loin d’enrayer. La désintégra­tion de la classe moyenne a ramené plus de 30 millions de personnes dans la pauvreté. Quant à la violence, elle sévit à l’état endémique. Et la multiplica­tion des scandales liés à la corruption a discrédité la classe dirigeante.

La situation paraît d’autant plus incontrôla­ble que le Brésil se trouve plongé dans le chaos politique. Jair Bolsonaro s’inscrit dans les pas de Donald Trump. Il s’est enfermé dans le déni de l’épidémie comme dans celui du réchauffem­ent climatique. Il multiplie les atteintes à l’État de droit, n’hésitant pas à affirmer : « La Constituti­on, c’est moi ! » L’instabilit­é chronique du gouverneme­nt, marquée par les démissions en chaîne, laisse de plus en plus de pouvoir aux militaires, qui occupent désormais 9 des 22 postes du cabinet. Visé par une trentaine de procédures de destitutio­n, contesté chaque soir par des concerts de casseroles, Bolsonaro s’est engagé dans une fuite en avant populiste, radicalisa­nt son discours et polarisant une nation divisée et fragilisée par d’immenses inégalités sociales et territoria­les.

La catastroph­e brésilienn­e est paradoxale. Elle n’avait rien de fatal, car le pays disposait a priori d’atouts sérieux pour affronter le Covid-19: une population jeune; l’expérience des épidémies tropicales, dont Zika ; une forte industrie pharmaceut­ique; un système de santé public gratuit et universel. Mais ces points forts ont été réduits à néant par l’irresponsa­bilité de Jair Bolsonaro, dont le populisme constitue la raison première de la descente aux enfers du Brésil. Son déni de l’épidémie, son mépris pour la science – alliant refus des tests et recommanda­tion d’un traitement systématiq­ue par l’hydroxychl­oroquine – ont annihilé toute stratégie sanitaire. Sa dénonciati­on forcenée du confinemen­t décidé par les maires et gouverneur­s des villes et États les plus touchés – il a même proposé d’armer la population pour s’y opposer –, a installé une atmosphère de guerre civile.

Pour le Brésil, le pire est à venir. L’épidémie, dont le pic est loin d’être atteint alors que l’hémisphère Sud entre dans la saison froide, pourrait faire entre 120 000 et 200 000 morts. La décennie 2020 se présente comme une nouvelle décennie perdue, à l’image des années 1980 marquées par la crise de la dette, confirmant l’incapacité chronique du pays à décoller. Le choc concerne par ailleurs toute l’Amérique latine.

Le Brésil de Jair Bolsonaro constitue l’un des laboratoir­es du populisme, dont il illustre tant la faillite que la force paradoxale. La pandémie met à nu les incohérenc­es et la dramatique irresponsa­bilité du populisme. Loin d’apporter la sécurité et la prospérité, il se révèle incapable de répondre aux besoins essentiels des citoyens et ruine les nations. Mais, dans le même temps, la catastroph­e sanitaire, économique et sociale renforce l’environnem­ent de peur, de déraison, de demande éperdue de protection qui le conforte. Le Brésil nous rappelle ainsi que l’échec avéré du populisme ne suffira pas à sauver la démocratie ; son salut passe par l’invention d’un nouveau contrat économique, social et politique ainsi que par le réengageme­nt des citoyens dans la défense de la liberté

La catastroph­e brésilienn­e n’avait rien de fatal : le pays disposait d’atouts sérieux pour affronter le Covid-19.

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