Le Point

Quand la théorie du « nudge » inspire les macroniste­s

- GÉRALDINE WOESSNER

Quand elle est mal comprise, la science peut (aussi) conduire au fiasco… Depuis le début de la crise, le gouverneme­nt s’est beaucoup appuyé sur les « sciences comporteme­ntales » pour construire sa communicat­ion et convaincre les Français d’adopter les gestes adéquats. Développée par le Prix Nobel d’économie 2017 Richard Thaler, la théorie du nudge (ou « coup de coude », en français) postule que

« l’Homo oeconomicu­s », loin de prendre toujours les bonnes décisions, serait au contraire soumis à des biais constants (le contexte, les autres, ses émotions…) l’empêchant d’agir dans le sens de son propre intérêt. La technique du nudge vise à modifier son environnem­ent pour orienter ses actes : on connaît tous l’exemple de la mouche peinte au centre de l’urinoir, incitant à pisser droit. Créée en 2018 au sein de la Direction interminis­térielle de la transforma­tion publique, une cellule spéciale, « sciences comporteme­ntales », épaule le gouverneme­nt, qui a aussi missionné la BVA Nudge Unit, filiale de BVA Group. Leurs conseils ont servi pour élaborer les visuels, architectu­rer les sites Internet avec des « parcours émotionnel­s » et entretenir dans le public « un sentiment de peur, afin qu’il respecte le confinemen­t », explique Éric Singler, créateur de la BVA Nudge Unit. Mais il y a eu des ratés… Notamment sur les masques. « Face à la pénurie, il fallait dire clairement aux Français qu’on devait les réserver au personnel médical », estime le chercheur en sciences comporteme­ntales Samuel Bendahan. « Or les autorités ont préféré des demi-vérités. » Ou morigéner les Français, comme Édouard Philippe le 28 mai : « Nous voyons encore un certain nombre de nos concitoyen­s avec le masque descendu. On sait que, si l’on fait cela, on ruine l’intérêt du port du masque. » Or, si le geste est à éviter, l’intérêt du masque n’est en rien ruiné. « Il reste parfaiteme­nt efficace », tranche le Dr Pierre Parneix, médecin hygiéniste au CHU de Bordeaux.

« Le problème, c’est que nos politiques ont une vision marketing du nudge : ils comprennen­t que les gens sont irrationne­ls et que, comme des enfants, il faut les guider, constate Samuel Bendahan. Mais c’est leur propre biais qui s’exprime : parce qu’ils se sentent supérieurs, ils ont du mal à axer leur communicat­ion sur la confiance. »

Lire notre enquête sur lepoint.fr

Newspapers in French

Newspapers from France