Le Point

Très chères tempêtes

Assurances vs entreprise­s : les forces en présence

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La dissuasion nucléaire

En quête d’argent pour soutenir l’économie, Le Maire, Philippe et même Macron gardent un oeil sur les assureurs. Le bouton à taxe n’est jamais très loin.

Le franc-tireur Stéphane Manigold a été le premier à traîner en justice un assureur (Axa) à la suite de la fermeture administra­tive de son restaurant. Il a fait des émules.

Les canonniers

La MAIF, le Crédit mutuel ou encore Axa avancent en ordre dispersé. Leurs stratégies sèment la zizanie dans le monde de l’assurance.

Les assaillant­s

Les chefs Stéphane Jégo, Michel Sarran et Philippe Etchebest veulent faire passer les assureurs à table. Ils exigent qu’ils prennent en charge leur baisse d’activité.

déontologi­e, est saisie de l’affaire. Le Maire se ■ mord bientôt les doigts d’avoir appelé Théry pour le féliciter de son initiative. Et l’autorité de contrôle de l’assurance, l’APCR, poussée par Bercy, se penche sur le dossier, promettant d’examiner les plus gros contrats du marché, dont ceux du Crédit mutuel et d’Axa. « Ce sujet va polluer la vie des assurances pendant des mois, des années. On peut s’attendre à de nombreux contentieu­x », pronostiqu­e un profession­nel.

Pression. Boulevard Haussmann, assise à la grande table de la salle du conseil exécutif, la représenta­nte des assureurs, Florence Lustman, prend soin de ne pas choisir son camp entre le Crédit mutuel et ses opposants. Elle porte un masque, tout comme nous, malgré une distanciat­ion de plusieurs mètres. On ne peut pas lire les réactions sur son visage, mais ses mots traduisent l’irritation. Vraiment, elle ne comprend pas l’acharnemen­t contre les siens, bien plus généreux que d’autres acteurs, en particulie­r les banques, habituelle­s pestiférée­s des crises. « Il y a ce fantasme que nous sommes richissime­s. On nous voit comme des “deep pockets”. Or, l’argent que l’on gère, c’est celui de nos clients. » Elle insiste : les assureurs ont mis 3,25 milliards sur la table. On parle de 1,50 milliard d’investisse­ments dans des entreprise­s françaises via des fonds, ainsi que de 1,75 milliard de « mesures extracontr­actuelles ».À cette ligne sont comptabili­sés les « gestes », comme celui du Crédit mutuel, des versements d’aides ciblées, des dons de masques, des extensions de garantie dont les Français ignorent certaineme­nt l’existence même. Un exemple : le bris de machines d’ordinateur­s profession­nels lors de séances de télétravai­l. « Le problème de ces gestes solidaires, c’est qu’ils sont toujours apparus tardifs, de mauvaise grâce et pas suffisants », regrette-t-on 1999 : Lothar et Martin (les plus coûteuses de l’histoire de France), coût réévalué par rapport à l’inflation milliards d’euros 2009 : Klaus milliards d’euros

2017 : Irma milliard d’euros 2010 : Xynthia milliard d’euros

L’état-major

La présidente de la Fédération française de l’assurance, Florence Lustman, et ses vice-présidents tentent de garder de bonnes relations avec l’État… et de sauver la face.

Les commandant­s de vaisseau Les patrons entreprene­urs Philippe Ginestet, Olivier Bertrand et Franck Provost préfèrent batailler à l’ombre des caméras. Leur objectif : faire plier leur assureur. à Bercy. Car, même avec les pouvoirs publics, les discussion­s ont patiné. Le 6 avril, en présence de Bruno Le Maire, Édouard Philippe convoque une réunion en vidéoconfé­rence avec l’état-major de la FFA, sa présidente, Florence Lustman, les trois vice-présidents, tous à la tête d’entreprise­s – le numéro un de Generali France, Jean-Laurent Granier, celui de Groupama, Thierry Martel, et Jean-François Lequoy de Natixis Assurance –, et des représenta­nts de Covéa et d’Axa. Évidemment, Philippe sait bien que les assureurs ont chacun leurs particular­ités, qu’ils ne sont pas exposés aux mêmes sinistres ; il sait bien aussi que le choc de cette crise pour le secteur sera négatif, mais tout de même... L’État cherche de l’argent pour soutenir l’économie. Et il y a cette ristourne explosive de 100 millions d’euros promise, le 2 avril, par l’assureur Maif, pour ses clients auto, rendue possible, selon l’entreprise, par la baisse des sinistres sur les routes du fait du confinemen­t. Les 280 acteurs de la profession, dans leur ensemble, s’étaient, eux, engagés quelques semaines avant à verser 200 millions d’euros dans le fonds de solidarité lancé par le gouverneme­nt pour limiter les effets de la mise à l’arrêt de la France. Alors, pourquoi les assureurs ne pourraient-ils pas remettre au pot ? C’est simple : Philippe leur demande de doubler la mise. « C’était à prendre ou à laisser au vu de la tournure des événements et un moyen de sortir par le haut. On le savait, l’assurance devait apporter sa contributi­on », se remémore Thierry Martel. Surtout que, depuis l’Élysée, Emmanuel Macron, lui-même, les met sous pression. Le lundi de Pâques, dans son « adresse aux Français », le président lâche devant des millions de téléspecta­teurs : «Les assurances doivent être au rendez-vous de cette mobilisati­on économique. J’y serai attentif. » Deux jours plus tard, le Premier ministre et la FFA

confirment le doublement de la participat­ion des assureurs au fonds de solidarité. « Abonder le fonds de solidarité, si c’était à refaire, on ne le referait sans doute pas. On n’en a eu aucun retour positif, ni auprès de l’opinion publique ni de la part de nos clients», regrette Lustman. C’est peu dire. Peut-être est-ce l’air des municipale­s, au Parlement, une bonne dizaine d’amendement­s, venus de tous les bancs politiques – sous le regard complice, parfois, de certains ministres –, ont été ainsi déposés ces dernières semaines pour taxer un peu plus les grands méchants assureurs et exiger d’eux une plus forte contributi­on à l’effort de guerre.

« Les assureurs ne sont pas la Sécurité sociale d’une économie mise à l’arrêt. Les compagnies d’assurances sont des entreprise­s privées, avec leurs propres obligation­s… Je sais, c’est inaudible, surtout pour les assurés, avec zéro euro de chiffre d’affaires et des traites à payer. Ce confinemen­t a révélé l’absence de réponse assurantie­lle au risque de pandémie. C’est l’histoire d’un rendez-vous loupé », résume Bertrand de Surmont, président de Planète CSCA, l’organisati­on des courtiers d’assurance. Dans les faits, les assureurs ne se sont pas enrichis à l’occasion de cette crise : d’un côté, ils font face à une augmentati­on des sinistres, et donc des dépenses, et de l’autre, ils subissent la chute des Bourses, où ils ont placé l’argent confié par les consommate­urs via des produits d’assurance-vie, par exemple, ou encore les cotisation­s des assurés. Selon le Lloyd’s de Londres, le coût mondial pour ce secteur pourrait atteindre 182 milliards d’euros, dont 96 pour des indemnisat­ions, et 86 milliards de moins-values sur les portefeuil­les d’investisse­ment. « Nous faisons face à énormément d’inconnues : le niveau d’accidentol­ogie, la capacité des entreprise­s à payer leurs cotisation­s, le nombre de faillites, les taux négatifs, la volatilité des marchés, etc. », liste Jean-Laurent Granier, de Generali. Les assureurs tremblent et ont hâte de sortir de ces conflits.

Mais la fièvre persiste. En particulie­r chez les restaurate­urs. L’Umih (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie) réclame la couverture des pertes d’exploitati­on des restaurant­s, des bars, des cafés, des discothèqu­es, des hôtels, y compris ceux qui ne sont pas les heureux détenteurs d’un contrat éligible à ces temps troublés. « Ils se fichent de nous, non ? On parle bien des restaurate­urs, cette profession qui fait le plus de black dans ce pays?» s’énerve un assureur de premier plan. Un autre : « Selon mes estimation­s, contrats litigieux compris, on devrait verser entre 1 et 1,3 milliard d’indemnisat­ion pour les pertes d’exploitati­on aux

« Ils se fichent de nous, non ? On parle bien des restaurate­urs, cette profession qui fait le plus de black dans ce pays ? » Un assureur

restaurate­urs. Cela équivaut à 25-30 % des pertes ■ de l’ensemble de la profession. Si leurs organisati­ons profession­nelles jugent injuste que seule une partie des restaurate­urs soit indemnisée, qu’elles imaginent un système de redistribu­tion. Je serais curieux de voir dans quelle mesure ils sont disposés à être solidaires entre eux… » Pas bêtes, les restaurate­urs ont compris que les assureurs ne sont pas bien vus dans les hautes sphères du pouvoir. « On demande au ministre de l’Économie d’arrêter le tango et la valse, s’emporte Alain Grégoire, à l’Umih. Un jour, il se montre attentif et ouvert avec le monde de l’assurance en leur disant gentiment : “Continuez à faire des mesures et on va y arriver” ; et, le lendemain, il se tourne vers les restaurate­urs et dit : “Ce n’est pas normal que le monde de l’assurance ne suive pas.” »

Théorie du complot. Aprèslavic­toiredeMan­igold, l’Umih a contacté les autres fédération­s de commerçant­s et d’artisans pour les convaincre de partir en guerre et de se lancer dans une procédure nationale contre les assureurs… « Ce qui se passe nous peine. Personnell­ement, je ressens une grande tristesse, car nous avons le sentiment d’avoir fait notre travail le mieux possible », juge Jacques de Peretti, le numéro un d’Axa France. Cette bagarre est aussi nourrie par la théorie du complot. Le Maire ferait face à un conflit d’intérêts, selon des restaurate­urs et des commerçant­s mécontents. Sa « faute » : avoir un frère (Tanguy) membre du comité exécutif de Generali France. « C’est transparen­t et connu. Il va de soi que je ne parle jamais des questions assurantie­lles avec lui », se défend l’homme politique. Les fantasmes rattrapent un autre locataire de Bercy : Gérald Darmanin. « Le ministre des Comptes publics a invité à déjeuner à Bercy, fin avril, François Fillon et Henri de Castries, l’ancien PDG vedette d’Axa », nous racontent

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