Livres - Le continent Kessel, par Marc Lambron
Mais comment ça, vous n’avez lu que Le Lion, ou même pas Le Lion ? Les deux volumes que la Pléiade consacre à Kessel offrent d’autres occasions de rugir avec lui.
Joseph Kessel en Pléiade ! Il lui aura fallu bourlinguer de Samarkand à Djibouti pour arriver rue Gaston-Gallimard. Habitué du marbre des journaux, le voici coulé dans les marmoréens volumes de la prestigieuse collection. La stature de Kessel doit autant à sa légende d’aventurier boucané qu’aux écrits multiples qu’il en tira. Son profil mixte unissait le reporter et l’écrivain, les voici rassemblés dans un cénotaphe de papier bible. Kessel, « Jef », tranche-montagne et homme-miroir, accède à une résurrection écrite alors que le souvenir de sa personnalité a déserté les générations montantes. Sa griffe perdurait dans le panthéon des Césars, ceux du cinéma : Belle de Jour, La Passante du Sans-Souci, L’Armée des ombres, Le Lion, Les Cavaliers et les trois versions de L’Équipage.
Mais il faut revenir à l’écrivain. Hybridation ou dualité, c’est peu dire quand on mesure au fil de ces deux volumes la diversité d’angles et de focales que ce géant polymorphe s’appropria, et parfois inventa. Des lignes de front aux cabarets de Montmartre, de la France libre à l’Académie française, quelle grande vie, quelle superlative biographie cinétique! Sans doute faut-il camper une saga pour entrer dans son style, alliant un swing de boxeur aux prouesses d’un titan de la chose vue. Kessel, c’est un peu l’« émigrant » de Charlie Chaplin écrivant « Le chant des partisans », une vie d’essence cosmopolite qu’il voulut sublimer en gloire tricolore.
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