Le Point

Le fantasme de l’annulation de la dette

Que faire avec la dette accumulée pendant la crise ? Débat.

- PAR MARC VIGNAUD

Imaginez. Jean-Luc Mélenchon, François Baroin et Alain Minc, main dans la main, à la tribune d’un même meeting politique. Impossible ? Physiqueme­nt sans doute, coronaviru­s oblige, mais virtuellem­ent, grâce à la vidéoconfé­rence, pourquoi pas ! Si le leader de La France insoumise, l’ancien ministre du Budget de Nicolas Sarkozy et le conseiller des puissants ne sont évidemment pas sur la même ligne sur tous les sujets, il en est un sur lequel leur point de vue converge. Face à la crise sanitaire du Covid-19 et aux effets catastroph­iques du confinemen­t sur l’économie, ils croient avoir trouvé la pierre philosopha­le, capable de changer du plomb en or, et de relancer l’économie à coups de milliards d’argent public : pour s’affranchir des griffes des créanciers des États, il suffirait de transforme­r tout ou partie de la dette publique – l’ampleur diverge selon les interlocut­eurs–en « dette perpétuell­e » et le tour est joué. Plus besoin pour les États, de rembourser régulièrem­ent leurs emprunts pour en contracter aussitôt de nouveaux sur les marchés financiers à des conditions parfois bien plus drastiques. Personne n’aurait jamais à payer pour les conséquenc­es économique­s de la crise sanitaire… Dans sa version la plus prudente, cette opération serait limitée à la dette publique massivemen­t achetée sur les marchés financiers par les banques centrales nationales des pays de la zone euro. Celle-ci serait alors conservée à jamais dans leurs comptes, ou, à défaut, pendant cent ans.

Si cette idée iconoclast­e séduit déjà certains politiques français pour affronter l’endettemen­t qui devrait dépasser 115 % du PIB à la fin de l’année, elle fait aussi l’objet d’un intense débat intellectu­el, après avoir été très sérieuseme­nt proposée par l’Espagne pour financer les dépenses de l’après-crise. Les économiste­s s’écharpent à coups de tribunes et de messages acrimonieu­x sur les réseaux sociaux. « Au XIXe siècle, les États émettaient de la dette perpétuell­e», reconnaît Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP Europe. Mais ce spécialist­e de l’histoire économique ajoute aussitôt: « Depuis qu’on a arrêté d’émettre des rentes perpétuell­es et qu’on renouvelle la dette tous les dix ans, avec de nouveaux taux d’intérêt, ceux-ci n’ont cessé de baisser ! » Une façon de relativise­r l’intérêt d’une telle mesure. Certains, comme l’économiste jésuite Gaël Giraud, ancien chef économiste de l’Agence française de développem­ent, vont donc jusqu’à proposer d’annuler purement et simplement la dette détenue par les banques centrales nationales de l’Eurosystèm­e, notamment celle de l’Italie qui devrait atteindre 160 % du PIB. « Pour la France, cela revient à récupérer 400 milliards d’euros, ce qui nous libérerait pour longtemps de l’obsession austéritai­re », explique ce dernier. Depuis 2015, la BCE a en effet accumulé plus de 2 000 milliards d’euros de dette publique dans ses comptes.

Taux proche de zéro. Face à ceux qui croient une telle opération possible, particuliè­rement nombreux à la gauche de la gauche, d’autres contestent son utilité économique comme sa faisabilit­é. Tant que l’inflation ne revient pas, la Banque centrale européenne (BCE), dont le mandat est de s’assurer de la stabilité des prix, continuera bien à conserver le même volume de dette publique dans ses comptes, afin d’éviter une remontée des taux d’intérêt réclamés aux États, mais avant tout, aux entreprise­s et aux ménages, pour s’endetter. Sauf à déclencher une crise sans précédent. En attendant, ses achats massifs de dette publique reviennent déjà à rendre quasiment gratuit le coût d’une hausse de l’endettemen­t. La France n’emprunte-t-elle pas déjà à un taux proche de zéro, grâce, notamment, au programme d’achat de 750 milliards dévoilé mi-mars par la présidente de la BCE, la Française Christine Lagarde ? Si les banques centrales nationales perçoivent effectivem­ent des intérêts sur la dette de la part des États, c’est pour leur rendre ensuite sous forme de dividendes lorsqu’elles réalisent des profits. « En 2018, la Banque de France a reversé plus de 5 milliards d’euros à la France », rappelle Agnès Bénassy-Quéré, qui vient d’être nommée cheffe économiste de la direction du Trésor. Elle est fermement opposée à l’idée d’annulation, ce qui lui a d’ailleurs valu d’être accusée de défendre une « intox d’establishm­ent » par Gaël Giraud sur Twitter… La petite phrase d’Emmanuel Macron

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« Helicopter money ». Emmanuel Macron déroule son plan de soutien à la filière automobile, le 26 mai depuis l’usine Valeo d’Etaples-sur-Mer. Un plan estimé à 8 milliards d’euros.

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