La guerre des assurances aura bien lieu
Les entreprises et le gouvernement leur demandent des comptes.
C’est lui, c’est l’emmerdeur. Il promet du champagne, compte les coupes et les journalistes conviés. Dans cinq minutes, depuis son bureau du 17e arrondissement de Paris, Stéphane Manigold va savoir, grâce à un « vulgaire mail », s’il a gagné ou perdu contre Axa ; le restaurateur exige de sa compagnie d’assurance la compensation des pertes économiques essuyées pour un de ses établissements, son Bistrot d’à côté Flaubert, fermé à cause de la crise sanitaire. « C’est prévu par mon contrat. » Il se tord la nuque pour détendre ses cervicales, s’assure, la voix pesante, qu’un de ses collaborateursvabienlefilmerentraindedécouvrirl’ordonnance de référé pour une retransmission en direct sur Instagram. Il est 16h36, ce vendredi 22 mai. «Yes, victoire ! » Le tribunal de commerce donne raison à Manigold. Il pleure sous ses lunettes rondes, et sur Instagram, donc. Il est abasourdi, et malin.
Patron de quatre restaurants à Paris, il serre bien des mains de parlementaires et de journalistes vedettes à l’entrée de sa Maison Rostang, 2 étoiles au Michelin. Quand il a enregistré le refus ferme d’Axa de l’indemniser, il a ouvert son épais carnet d’adresses, et appelé ses habitués du monde des médias. Le voilà invité sur BFM Business, RMC, TF1... À des heures de forte audience, il raconte l’injustice dont il se dit victime. Il aurait pu trouver un arrangement avec Axa sans passer par la voie judiciaire, mais non. « Ce mépris… » L’homme rapporte, agacé, que, lors d’une tentative de milliard d’euros Le coût des mesures hors contrat prises par les assureurs. Ces dispositifs incluent 400 millions pour le fonds de solidarité, la suppression de trois mois de loyers pour les TPE en difficulté, les extensions des assurances auto privées à un usage professionnel, le gel de cotisations pendant plusieurs mois, ou des ristournes pour les professionnels, la mise à disposition d’un service juridique gratuit, le don de 3,2 millions de masques et de 6 000 combinaisons intégrales. conciliation au prestigieux cabinet d’avocats Gide, le 20 mai, le clan de l’assureur lui a confié avoir mis au frais du champagne Ulysse Collin, sûr qu’il était de l’emporter devant un tribunal. « Cette arrogance… »
Stéphane Manigold a grandi dans un foyer de la DDASS, à Rimbach, en Alsace ; il aspire désormais au « respect » et, en ce jour de triomphe, tend, à qui le veut, une coupe de champagne. Du Charles Heidsieck. Tournée générale. Il savoure. Ce quadra en costume – et baskets – se prépare, de nouveau, à témoigner sur TF1, France 2, RMC, BFM, etc. Son histoire plaît tellement… Stéphane Manigold jure qu’il ne souhaitait pas que cela vire « au petit contre le gros ou au gros contre le petit ». Pourtant… Il est 7 h 54, le 26 mai, quand il nous envoie un message pour nous signaler l’intervention, sur RTL, de Thomas Buberl, le numéro un d’Axa, l’un des leaders mondiaux de l’assurance, valorisé à 41 milliards d’euros en Bourse. L’Allemand évoque évidemment le cas du restaurateur franc-tireur à qui son groupe doit verser 45 000 d’euros d’indemnités, selon l’ordonnance de référé du tribunal de commerce de Paris. Ayant fait appel de la décision, Buberl indique toutefois vouloir « trouver une solution », et que ce contrat contient une « ambiguïté ».
Manigold n’est qu’un assuré mécontent parmi tant d’autres. Mais il est celui qui a su faire du bruit et instiller l’espoir et l’idée qu’il serait possible de contraindre les assureurs à passer à la caisse, en ces temps difficiles. Quand, mi-mars, la France se ferme pour des raisons sanitaires, les entreprises de la restauration, de proximité, de l’événementiel se tournent tout naturellement vers leurs assureurs. Elles sont protégées par des contrats multirisques professionnels, un marché de 4,5 milliards d’euros et de 2,9 millions de contrats pour les assureurs. Près de 1,7 million d’entreprises, de la plus petite à la plus grande, ont choisi de contracter une option qui leur garantit une couverture de perte d’exploitation, censée compenser une baisse d’activité. Certaines comptent bien y avoir recours, même en temps de pandémie. On touche du doigt l’« ambiguïté » évoquée par Buberl, et que tous les experts de l’assurance relèvent : la pandémie, à cause de l’ampleur du risque, ne peut être garantie, sauf en cas de « contrats mal rédigés » (dixit les compagnies). Nul ne sait (ou ne veut dire) combien de contrats, parfois imaginés par des intermédiaires – courtiers ou agents généraux d’assurance –, circulent. « C’est à la marge », nous répète-t-on chez les assureurs. Tous les assureurs d’entreprises en compteraient « un peu » dans leur portefeuille, car, au sein d’une même compagnie, différents contrats existent. Une situation qui leur fait affirmer, dans un premier temps, à l’unisson, que la pandémie, qui touche tout le monde en même temps,