Numérique, un malaise à la française
Un sondage Jin-Opinion Way révèle interrogations et fractures digitales depuis la crise du Covid.
C’est un indicateur qui, si l’on ne s’en préoccupe pas, pourrait devenir un jour handicapant pour la société française. Certes, le confinement, dont nous sortons pas à pas, a provoqué une accélération des usages numériques au quotidien, mais l’étude réalisée par l’agence digitale Jin, avec l’institut de sondage Opinion Way, et publiée en exclusivité par Le Point, dresse un certain nombre de constats contre-intuitifs. Car, si la technologie a été d’un grand secours en temps de confinement, via notamment le recours au télétravail, à la visioconférence, aux loisirs en ligne ou encore à l’achat à distance, les fractures entre les générations et les catégories sociales se sont aggravées. « Voici donc le paradoxe de la technologie : elle constitue à la fois un facteur de résilience et de continuité, mais aussi une limite à nos libertés et un facteur de repli sur notre tribu originelle », note Édouard Fillias, cofondateur de Jin. Un des principaux défis à relever est de prendre les utilisateurs par la main : en France, seulement 19% des sondés se sentent aujourd’hui plus à l’aise avec Internet qu’au début de la crise, alors que cette proportion est de 26 % en Allemagne et de 34 % au RoyaumeUni (voir ci-contre). Y a-t-il un malaise technologique français ? Tour d’horizon.
Une fracture générationnelle... Premier enseignement, le Covid-19 n’a pas réduit le fossé qui sépare les classes d’âge. En effet, 29 % des moins de 35 ans déclarent être plus à l’aise pour utiliser Internet après le confinement, contre seulement 16 % de leurs aînés. Sans surprise, cette agilité numérique diminue avec l’âge : 49 % des Français de moins de 35 ans déclarent avoir un compte de livraison de repas à domicile, contre 9 % seulement des 35 ans et plus. Le visionnage de films et de séries a par ailleurs augmenté beaucoup plus vite chez les jeunes (47 % des moins de 35 ans, contre 25 % des plus âgés), surtout dans les zones urbaines (40 % à Paris, contre 28 % dans le reste de la France), où c’était l’un des seuls loisirs disponibles.
… qui ressert néanmoins les liens familiaux
Autre surprise de la période qui s’achève : la quarantaine est la cause d’un retour aux sources, qui tend au repli sur soi, révèle le rapport. Les personnes interrogées se sont éloignées de la majeure partie de leur cercle de connaissances – leurs réseaux amical et professionnel, notamment –, mais se sont rapprochées de leur famille.
Des artisans plus agiles Interrogés sur l’impact général de la technologie dans leur vie quotidienne, les répondants à faible revenu, « dont les emplois sont potentiellement plus susceptibles d’être remplacés par l’intelligence artificielle ou la robotique », se sont montrés beaucoup plus préoccupés que les sondés plus aisés. Plus étonnant, 33 % des artisans, commerçants et chefs d’entreprise déclarent « être plus à l’aise avec l’utilisation d’Internet. Avec la fermeture des restaurants et des magasins, nombre d’entre eux se sont tournés vers les marchés numériques comme Deliveroo ou Uber Eats ».
Mais une méfiance grandissante face aux « fake news »
Si une grande partie des Français ont profité de cette période pour davantage s’informer, l’étude observe « un accroissement des inquiétudes liées aux fake news, à la vie privée et à l’impact de la technologie dans [leur] vie de tous les jours ». D’ailleurs, les fausses nouvelles préoccupent aujourd’hui 39 % de nos compatriotes. Il faut dire que la période qui se referme a été riche en « intox » aux effets parfois redoutables, comme en témoignent les liens injustement avancés entre 5G et Covid, et qui se sont traduits par l’incendie d’antennes téléphoniques.
Technologie, je t’aime moi non plus
Certes, le temps passé derrière les écrans a explosé via des plateformes éducatives ou dévolues aux jeux vidéo,comme Twitch ou Discord, mais la méfiance augmente encore, notamment par rapport à l’utilisation des données personnelles. Elle ne préoccupe « que » 22 % des Français (contre 33 % des Américains), mais le sujet prend de l’ampleur. « Il est important que les utilisateurs se réapproprient l’usage qui est fait de leurs données », note Édouard Fillias, qui observe que ce nouvel état d’esprit représente un défi pour les entreprises. Peu de marques tirent leur épingle du jeu. Dans 3 des 4 pays étudiés, Amazon est la seule citée positivement pour son attitude « bienfaisante » pendant la crise, à l’exception… des Français. L’entreprise qui fédère le plus dans notre pays est LVMH, même si elle ne rassemble que 4 % des sondés. Les références de marques du monde d’après sont encore à créer. Il faudra pour cela convaincre les plus jeunes. Car, soulignent les auteurs de l’étude, on observe en France une tendance contraire à celle de nos voisins: « Plus on est jeune, plus on est pessimiste. »
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