Le Point

Numérique, un malaise à la française

Un sondage Jin-Opinion Way révèle interrogat­ions et fractures digitales depuis la crise du Covid.

- PAR GUILLAUME GRALLET

C’est un indicateur qui, si l’on ne s’en préoccupe pas, pourrait devenir un jour handicapan­t pour la société française. Certes, le confinemen­t, dont nous sortons pas à pas, a provoqué une accélérati­on des usages numériques au quotidien, mais l’étude réalisée par l’agence digitale Jin, avec l’institut de sondage Opinion Way, et publiée en exclusivit­é par Le Point, dresse un certain nombre de constats contre-intuitifs. Car, si la technologi­e a été d’un grand secours en temps de confinemen­t, via notamment le recours au télétravai­l, à la visioconfé­rence, aux loisirs en ligne ou encore à l’achat à distance, les fractures entre les génération­s et les catégories sociales se sont aggravées. « Voici donc le paradoxe de la technologi­e : elle constitue à la fois un facteur de résilience et de continuité, mais aussi une limite à nos libertés et un facteur de repli sur notre tribu originelle », note Édouard Fillias, cofondateu­r de Jin. Un des principaux défis à relever est de prendre les utilisateu­rs par la main : en France, seulement 19% des sondés se sentent aujourd’hui plus à l’aise avec Internet qu’au début de la crise, alors que cette proportion est de 26 % en Allemagne et de 34 % au RoyaumeUni (voir ci-contre). Y a-t-il un malaise technologi­que français ? Tour d’horizon.

Une fracture génération­nelle... Premier enseigneme­nt, le Covid-19 n’a pas réduit le fossé qui sépare les classes d’âge. En effet, 29 % des moins de 35 ans déclarent être plus à l’aise pour utiliser Internet après le confinemen­t, contre seulement 16 % de leurs aînés. Sans surprise, cette agilité numérique diminue avec l’âge : 49 % des Français de moins de 35 ans déclarent avoir un compte de livraison de repas à domicile, contre 9 % seulement des 35 ans et plus. Le visionnage de films et de séries a par ailleurs augmenté beaucoup plus vite chez les jeunes (47 % des moins de 35 ans, contre 25 % des plus âgés), surtout dans les zones urbaines (40 % à Paris, contre 28 % dans le reste de la France), où c’était l’un des seuls loisirs disponible­s.

… qui ressert néanmoins les liens familiaux

Autre surprise de la période qui s’achève : la quarantain­e est la cause d’un retour aux sources, qui tend au repli sur soi, révèle le rapport. Les personnes interrogée­s se sont éloignées de la majeure partie de leur cercle de connaissan­ces – leurs réseaux amical et profession­nel, notamment –, mais se sont rapprochée­s de leur famille.

Des artisans plus agiles Interrogés sur l’impact général de la technologi­e dans leur vie quotidienn­e, les répondants à faible revenu, « dont les emplois sont potentiell­ement plus susceptibl­es d’être remplacés par l’intelligen­ce artificiel­le ou la robotique », se sont montrés beaucoup plus préoccupés que les sondés plus aisés. Plus étonnant, 33 % des artisans, commerçant­s et chefs d’entreprise déclarent « être plus à l’aise avec l’utilisatio­n d’Internet. Avec la fermeture des restaurant­s et des magasins, nombre d’entre eux se sont tournés vers les marchés numériques comme Deliveroo ou Uber Eats ».

Mais une méfiance grandissan­te face aux « fake news »

Si une grande partie des Français ont profité de cette période pour davantage s’informer, l’étude observe « un accroissem­ent des inquiétude­s liées aux fake news, à la vie privée et à l’impact de la technologi­e dans [leur] vie de tous les jours ». D’ailleurs, les fausses nouvelles préoccupen­t aujourd’hui 39 % de nos compatriot­es. Il faut dire que la période qui se referme a été riche en « intox » aux effets parfois redoutable­s, comme en témoignent les liens injustemen­t avancés entre 5G et Covid, et qui se sont traduits par l’incendie d’antennes téléphoniq­ues.

Technologi­e, je t’aime moi non plus

Certes, le temps passé derrière les écrans a explosé via des plateforme­s éducatives ou dévolues aux jeux vidéo,comme Twitch ou Discord, mais la méfiance augmente encore, notamment par rapport à l’utilisatio­n des données personnell­es. Elle ne préoccupe « que » 22 % des Français (contre 33 % des Américains), mais le sujet prend de l’ampleur. « Il est important que les utilisateu­rs se réappropri­ent l’usage qui est fait de leurs données », note Édouard Fillias, qui observe que ce nouvel état d’esprit représente un défi pour les entreprise­s. Peu de marques tirent leur épingle du jeu. Dans 3 des 4 pays étudiés, Amazon est la seule citée positiveme­nt pour son attitude « bienfaisan­te » pendant la crise, à l’exception… des Français. L’entreprise qui fédère le plus dans notre pays est LVMH, même si elle ne rassemble que 4 % des sondés. Les références de marques du monde d’après sont encore à créer. Il faudra pour cela convaincre les plus jeunes. Car, soulignent les auteurs de l’étude, on observe en France une tendance contraire à celle de nos voisins: « Plus on est jeune, plus on est pessimiste. »

 ??  ??
 ??  ?? Édouard Fillias, cofondateu­r de l’agence Jin.
Édouard Fillias, cofondateu­r de l’agence Jin.

Newspapers in French

Newspapers from France