Trump face aux émeutiers : la tactique de l’huile sur le feu, par Gérard Araud
Confronté à des émeutes d'une ampleur inégalée depuis 1968, le président américain montre les muscles et espère que ce sera payant dans les urnes.
Depuis le début des émeutes aux États-Unis, Trump n’a pas prononcé le moindre mot d’apaisement à l’égard de la communauté noire. Il a brièvement condamné le meurtre de George Floyd et a téléphoné au frère de la victime, sans lui laisser dire un mot selon celui-ci. Confronté aux manifestations, il s’est contenté d’appeler au rétablissement de l’ordre à tout prix, de rendre responsables les élus démocrates de l’extension des troubles et d’imputer ceux-ci à l’extrême gauche et aux anarchistes. Tout cela par le biais de tweets, puisqu’il n’a pas jugé nécessaire de s’adresser au pays ou de répondre aux questions des journalistes à ce sujet.
À un pays embrasé par le sentiment d’injustice que nourrit la communauté noire, le président répond donc par une fin de non-recevoir, prouvant une fois de plus qu’il est incapable d’empathie et qu’il ne cherche jamais à promouvoir l’union nationale, comme l’avait rappelé sa gestion de l’épidémie de Covid-19. Avec lui, quoi qu’il arrive, tout est manichéen, tout est polarisé, tout est politique. Trump reste donc fidèle à lui-même, en rejetant en bloc manifestants et élus démocrates qui essaient de rétablir la paix sociale sans violence.
Cette brutalité du président ne date pas d’aujourd’hui. Même s’il a parfois fait mine de s’adresser à la communauté noire, en soulignant qu’elle bénéficiait comme le reste du pays de la prospérité économique de son mandat, Trump n’a jamais fait de la lutte contre le racisme un thème de sa présidence. Au contraire, il a accepté le soutien d’organisations et d’individus d’extrême droite dont le programme est clairement teinté de racisme. Lorsque des suprémacistes blancs avaient manifesté à Charlottesville, ce qui avait conduit à des affrontements, il s’était contenté de renvoyer dos à dos racistes et antiracistes.
Son opposition à l’immigration ne se fonde pas seulement sur des impératifs économiques. Il a indiqué que beaucoup d’entre eux étaient des « violeurs » ou des criminels, qu’ils apportaient des maladies. Il n’a pas hésité un instant à faire séparer les enfants des parents et à les interner dans des conditions indignes. En un mot, Trump, sans être un raciste idéologique, cultive et exprime tous les préjugés que nourrit une partie de son électorat, qui ne l’en aime que plus pour cette raison. L’extrême droite blanche, qui connaît depuis plusieurs années une renaissance, en est enhardie et se fait plus visible. Fox News flirte avec ces thèmes sans susciter de protestations. La chaîne télévisée qui monte et que Trump adore, One America News, relaie des théories du complot sans vergogne. C’est dans cette ambiance tendue que la mort de George Floyd a fait déborder le vase, après plusieurs récents incidents teintés de racisme.
De par son caractère et par conviction, Trump est donc incapable de répondre à la colère des Noirs américains. Mais n’y a-t-il pas une stratégie électorale derrière des déclarations qui semblent vouloir verser de l’huile sur le feu au lieu de calmer les manifestants ? C’est, en tout cas, ce que commencent à se demander les commentateurs qui ont tous à l’esprit les émeutes raciales d’avril 1968, qui avaient frappé les grandes villes américaines après l’assassinat de Martin Luther King. Tous les sondeurs avaient conclu alors qu’elles avaient conduit à un substantiel transfert de voix en faveur de Nixon aux élections qui avaient suivi. Inquiet des conséquences de la crise économique qu’a suscitée la pandémie, Donald Trump joue-t-il la politique du pire pour mobiliser les Américains sur le thème de la loi et de l’ordre ? Délibérée ou pas, sa réaction va dans ce sens
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