L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
L’enterrement se déroulera sans doute en catimini mais c’en est peut-être bientôt fini de l’universalisme républicain. Il n’est plus de notre temps, celui de la concurrence victimaire, de la culture de l’expiation, de l’éparpillement des identités façon puzzle.
En France, l’américanisation de la pensée est en marche, rien ne l’arrêtera. Les racialistes, les décoloniaux et les indigénistes, autrement dit les «Français malgré eux» (1), importent leur idéologie des campus américains et ne cessent de marquer des points, comme le montre leur campagne contre les « violences policières » en France après la mort du Noir George Floyd aux États-Unis.
Tout n’est certes pas à jeter dans ce mouvement de contestation et on peut toujours discuter du concept de « privilège blanc », selon lequel la couleur de la peau peut être un avantage. Mais comment accepter le monde rigidifié, ethnicisé, que veulent nous imposer ces néo-identitaires ?
Pour paraphraser la vieille formule de M. Fabius à propos du Front national, ils posent quelques bonnes questions mais n’apportent que des mauvaises réponses. Leur passion de l’exclusion est si frénétique que leur conception de la nation relève de l’épicerie, avec, dans les rayonnages, des tiroirs cadenassés à perte de vue.
D’ordinaire mieux inspiré, Joe Biden, le candidat démocrate à la présidence des États-Unis, a sombré dans cette racialisation quand il a déclaré, avant de s’excuser : « Si vous avez un problème pour savoir si vous êtes pour Trump ou pour moi, c’est que vous n’êtes pas noir. » Logique : si l’engeance racialiste gagne la bataille idéologique en cours, nous serons tous réduits à notre couleur de peau.
Sans excuse est la complaisance à l’égard des racialistes d’une gauche de plus en plus délétère. Y a-t-il une logique à vouloir obsessionnellement faire taire Éric Zemmour, les souverainistes ou les identitaires si c’est pour s’agenouiller pieusement, ensuite, devant les icônes de l’indigénisme, qui sont souvent des suprémacistes à l’envers, décidés à refaire la France à zéro, à leur façon ?
Au diable, les grands auteurs comme Platon, Molière ou Darwin, incarnations de la société occidentale tant honnie ! Dans les universités des ÉtatsUnis, dernières forteresses marxistes de la planète avec l’université française, l’heure est de plus en plus aux cultures alternatives, aux marginalités discriminées.
L’enracinement, si cher à la philosophe Simone Weil, est interdit dès lors qu’il est ici et non ailleurs. Tels sont les effets du progressisme.
Tout en refondant la culture, il s’agit de réécrire l’Histoire, quitte à en zapper des pans entiers. Les racialistes américains s’attaquent-ils aux statues des généraux sudistes de la guerre de Sécession ? En Martinique, leurs épigones français déboulonnent deux statues de Victor Schoelcher, le militant qui a décrété l’abolition de l’esclavage, en 1848. Il avait un grand tort : il était blanc.
L’Amérique a un problème avec sa police, qui, traditionnellement, a tous les droits ou presque. Qu’importe si, en France, les bavures sont plus rares (quand elles sont avérées), pourvu que l’Occident « blanc », tous pays confondus, soit l’objet du même opprobre. Nous vivons tous dans les séries américaines que nous regardons, n’est-il pas vrai ?
Par un incroyable tour de passe-passe, les racialistes ont réussi à imposer une grille de lecture américaine à la situation française et à faire croire que des morts comme celle de George Lloyd, tué de sang-froid par un policier blanc à Minneapolis, sont choses communes dans une France où les droits des minorités seraient systématiquement bafoués. Fadaises !
Surtout, à travers leurs réseaux dans les médias, ces falsificateurs prêchent la haine de l’autre, sanctifient les truands ou les faux journalistes antiflics, mettent en avant leur «race» au nom de l’antiracisme et travaillent ouvertement à la désagrégation du pays. Sans oublier de hurler contre le métissage. Ce sont les épigones des penseurs racistes qui, tels Gobineau ou Vacher de Lapouge, inspirèrent naguère l’extrême droite. En fait, ce sont exactement les mêmes, mais de l’autre côté de la barrière, à gauche toute.
«Aimé, Martin, réveillez-vous, ils sont devenus fous!» Alors que les «Français malgré eux » sont partis à l’assaut de la République, il ne nous reste plus qu’à chercher du réconfort chez les grandes figures de la cause de l’antiracisme comme le saint et martyr Martin Luther King ou le Martiniquais Aimé Césaire, somptueux poète anticolonialiste, antidogmatique et universel, qui écrivait : « Il y a dans le regard du désordre cette hirondelle de menthe et de genêt qui fond pour toujours renaître dans le raz de marée de la lumière. »
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1. Titre d’un ouvrage très stimulant, Français malgré eux, racialistes, décolonialistes, indigénistes : ceux qui veulent déconstruire la France, d’Anne-Sophie Nogaret et Sami Biasoni, préfacé par Pascal Bruckner, aux éditions de L’Artilleur.