Cette récession, c’est contagieux, docteur ?
La pandémie s’éloigne, la crise s’installe. Même impact ravageur, mêmes incertitudes sur sa durée. Et mêmes divisions sur le traitement à apporter.
Aux États-Unis et en Europe, la crise économique prend le relais d’une crise sanitaire qui s’éloigne au fur et à mesure que l’été approche. Après les chiffres quotidiens d’hospitalisations, de guérisons et de décès, c’est au tour des statistiques de PIB, de chômage et de dette de donner le vertige. Beaucoup paraissent irréelles, comme les 220 milliards d’euros de déficit budgétaire de la France en 2020 ou celle qui signale que 40 % des ménages américains gagnant moins de 40 000 dollars par an ont perdu leur emploi en deux mois. La pandémie économique fait ressentir ses effets ravageurs partout dans le monde et les Franblique çais, après s’être montrés longtemps insouciants, prennent conscience qu’elle n’a guère plus de chance de s’arrêter miraculeusement à nos frontières que le virus lui-même.
Signe qui ne trompe pas, on voit désormais sur les plateaux de télévision défiler plus d’économistes que d’épidémiologistes. Les premiers ne sont d’ailleurs pas plus d’accord entre eux que les seconds sur les traitements à administrer. Le recours à la dette divise au moins autant que l’usage de l’hydroxychloroquine et, tandis que certains militent en faveur d’une hausse du temps de travail, d’autres plaident pour sa diminution. La moitié des économistes affirme que la récession va plonger le monde dans une grave déflation, l’autre moitié pointe à l’inverse la menace d’hyperinflation que fait planer la monétisation des dettes.
Au milieu de tous ces avis contradictoires d’experts réputés, le citoyen a bien du mal à se faire une idée claire sur la gravité de la crise économique, de même qu’il en a eu pour se forger une opinion sur le degré de dangerosité du Covid-19. À leur décharge, les économistes se trouvent, comme les infectiologues, démunis face à une crise d’une ampleur et surtout d’une nature inédites, qui n’a pas été provoquée, comme les précédentes, par un dysfonctionnement du système mais par un choc exogène, avec le choix délibéré des gouvernements de stopper l’activité économique pour protéger la santé des populations.
Face à ce mal inconnu, la science économique se montre aussi impuissante que la science médicale. Faute de pouvoir s’appuyer sur des expériences du passé, faute de temps aussi pour mener des essais randomisés, les pouvoirs publics agissent dans l’urgence en dehors des protocoles autorisés, « franchissant des lignes rouges qui ne l’avaient jamais été auparavant », selon l’aveu même du président de la FED, Jerome Powell. Chose parfaitement inconcevable hier encore, la BCE, si attachée à son indépendance, achète des tombereaux d’emprunts d’États d’Europe du Sud pour financer leurs déficits et les empêcher de faire faillite. Chose plus inconcevable encore, l’ultraorthodoxe Allemagne a officiellement approuvé, par la voix de Mme Merkel, cette action monétairement sacrilège.
Les crises économique et sanitaire présentent d’autres ressemblances troublantes. La façon qu’elles ont toutes les deux de s’attaquer aux plus vulnérables, aux personnes âgées comme aux entreprises et aux États à la santé financière fragile. Il semble même désormais établi qu’un endettement élevé constitue pour un pays un facteur de comorbidité aussi important que l’est le diabète pour une personne contaminée.
Le coronavirus économique se caractérise également par son haut degré de contagiosité. Il se transmet très facilement d’un individu à l’autre : c’est le restaurateur qui, à cause de la baisse de son chiffre d’affaires, renonce à refaire le sol de sa salle et pousse du coup le carreleur à reporter son achat d’une nouvelle Kangoo ; ce qui contribue au licenciement de deux salariés du concessionnaire Renault de la ville et à des suppressions de postes par milliers chez le constructeur. Le virus se propage également rapidement d’un pays à l’autre : moins d’achats de maillots de bain en France, c’est moins de production
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Le recours à la dette divise au moins autant que l’usage de l’hydroxychloroquine.