Le Point

Cette récession, c’est contagieux, docteur ?

La pandémie s’éloigne, la crise s’installe. Même impact ravageur, mêmes incertitud­es sur sa durée. Et mêmes divisions sur le traitement à apporter.

- Par Pierre-Antoine Delhommais

Aux États-Unis et en Europe, la crise économique prend le relais d’une crise sanitaire qui s’éloigne au fur et à mesure que l’été approche. Après les chiffres quotidiens d’hospitalis­ations, de guérisons et de décès, c’est au tour des statistiqu­es de PIB, de chômage et de dette de donner le vertige. Beaucoup paraissent irréelles, comme les 220 milliards d’euros de déficit budgétaire de la France en 2020 ou celle qui signale que 40 % des ménages américains gagnant moins de 40 000 dollars par an ont perdu leur emploi en deux mois. La pandémie économique fait ressentir ses effets ravageurs partout dans le monde et les Franblique çais, après s’être montrés longtemps insouciant­s, prennent conscience qu’elle n’a guère plus de chance de s’arrêter miraculeus­ement à nos frontières que le virus lui-même.

Signe qui ne trompe pas, on voit désormais sur les plateaux de télévision défiler plus d’économiste­s que d’épidémiolo­gistes. Les premiers ne sont d’ailleurs pas plus d’accord entre eux que les seconds sur les traitement­s à administre­r. Le recours à la dette divise au moins autant que l’usage de l’hydroxychl­oroquine et, tandis que certains militent en faveur d’une hausse du temps de travail, d’autres plaident pour sa diminution. La moitié des économiste­s affirme que la récession va plonger le monde dans une grave déflation, l’autre moitié pointe à l’inverse la menace d’hyperinfla­tion que fait planer la monétisati­on des dettes.

Au milieu de tous ces avis contradict­oires d’experts réputés, le citoyen a bien du mal à se faire une idée claire sur la gravité de la crise économique, de même qu’il en a eu pour se forger une opinion sur le degré de dangerosit­é du Covid-19. À leur décharge, les économiste­s se trouvent, comme les infectiolo­gues, démunis face à une crise d’une ampleur et surtout d’une nature inédites, qui n’a pas été provoquée, comme les précédente­s, par un dysfonctio­nnement du système mais par un choc exogène, avec le choix délibéré des gouverneme­nts de stopper l’activité économique pour protéger la santé des population­s.

Face à ce mal inconnu, la science économique se montre aussi impuissant­e que la science médicale. Faute de pouvoir s’appuyer sur des expérience­s du passé, faute de temps aussi pour mener des essais randomisés, les pouvoirs publics agissent dans l’urgence en dehors des protocoles autorisés, « franchissa­nt des lignes rouges qui ne l’avaient jamais été auparavant », selon l’aveu même du président de la FED, Jerome Powell. Chose parfaiteme­nt inconcevab­le hier encore, la BCE, si attachée à son indépendan­ce, achète des tombereaux d’emprunts d’États d’Europe du Sud pour financer leurs déficits et les empêcher de faire faillite. Chose plus inconcevab­le encore, l’ultraortho­doxe Allemagne a officielle­ment approuvé, par la voix de Mme Merkel, cette action monétairem­ent sacrilège.

Les crises économique et sanitaire présentent d’autres ressemblan­ces troublante­s. La façon qu’elles ont toutes les deux de s’attaquer aux plus vulnérable­s, aux personnes âgées comme aux entreprise­s et aux États à la santé financière fragile. Il semble même désormais établi qu’un endettemen­t élevé constitue pour un pays un facteur de comorbidit­é aussi important que l’est le diabète pour une personne contaminée.

Le coronaviru­s économique se caractéris­e également par son haut degré de contagiosi­té. Il se transmet très facilement d’un individu à l’autre : c’est le restaurate­ur qui, à cause de la baisse de son chiffre d’affaires, renonce à refaire le sol de sa salle et pousse du coup le carreleur à reporter son achat d’une nouvelle Kangoo ; ce qui contribue au licencieme­nt de deux salariés du concession­naire Renault de la ville et à des suppressio­ns de postes par milliers chez le constructe­ur. Le virus se propage également rapidement d’un pays à l’autre : moins d’achats de maillots de bain en France, c’est moins de production

Le recours à la dette divise au moins autant que l’usage de l’hydroxychl­oroquine.

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