Le Point

Pour l’ex-« père Fouettard » de l’euro, aujourd’hui président du Bundestag, l’UE peut sortir gagnante de la pandémie.

- PROPOS RECUEILLIS PAR PASCALE HUGUES À BERLIN

Le Point : Vous êtes aujourd’hui en télétravai­l dans votre circonscri­ption d’Offenbourg, à quelques kilomètres de Strasbourg. Comment avez-vous vécu la fermeture de la frontière franco-allemande, au début de la pandémie? Wolfgang Schäuble :

J’étais triste. Depuis des dizaines d’années dans notre région, nous vivions sans frontières et jamais nous n’aurions pu imaginer en arriver là. Mais, au début de la pandémie, chaque pays a pris des mesures dans l’urgence. La France a décidé la fermeture des magasins et, chez nous, les gens se sont dit : «Nous n’avons pas assez de papier toilette et maintenant les Français vont venir faire leurs courses chez nous.» La pression était très forte et c’est pourquoi nous avons pris cette mesure qui, Dieu merci, sera définitive­ment levée le 15 juin. Je crois que cela nous servira de leçon pour l’avenir : pour éviter la fermeture des frontières, les pays européens devront se concerter et se mettre d’accord sur des mesures communes.

Sans la France et l’Allemagne, rien ne va plus, dit-on. Nos deux pays viennent de proposer un vaste plan de relance de 500 milliards d’euros pour l’Europe. Quelle importance accordez-vous à cette propositio­n, qui nous a pris par surprise?

● Première fois ministre en 1984.

● Ministre de l’Intérieur entre 1989 et 1991, il mène les négociatio­ns aboutissan­t au traité d’unificatio­n de la RFA et de la RDA.

● Dans un fauteuil roulant depuis le 12 octobre 1990, lorsqu’un déséquilib­ré lui tire dessus à trois reprises en plein meeting électoral. Paralysé, il reprend ses fonctions moins de trois mois après ce qu’il qualifie d’ « accident ».

● Ministre des Finances entre 2009 et 2017, il est réputé pour sa rigueur sur la question de l’équilibre budgétaire, le fameux « schwarze Null », le zéro noir – les Européens le surnomment

« le père Fouettard ». En 2015, il est favorable à la sortie de la Grèce de la zone euro pour sauver l’Europe.

● Président du Bundestag depuis 2017.

Cela est l’un des fondements de notre économie sociale de marché. Le moment serait mal choisi, alors que nous traversons une crise aussi grave, de remettre sur le tapis le vieux débat sur les bonds communs, sur une mutualisat­ion de la dette, mais nous devons débattre des moyens à mettre en place sous la responsabi­lité de l’Europe. Et bien sûr cela n’est possible en ce moment qu’en faisant massivemen­t appel à la dette.

D’après les traités en vigueur, l’Europe ne dispose pas de ressources qui lui sont propres.

D’après le traité de Lisbonne, l’Europe n’a pas la solvabilit­é nécessaire pour contracter une dette. En Allemagne, nous sommes prêts à envisager une modificati­on du traité de Lisbonne. Richard Ferrand et moi-même avons pris position sur ce point afin d’envisager des ressources propres à l’Union européenne. Les ministères des Finances ont déjà réfléchi à une réforme des traités qui permettrai­t d’étendre les possibilit­és d’emprunt de l’Union européenne. Mais, pour cela, il faut un cadre légal clairement défini.

Le récent jugement de la Cour constituti­onnelle de Karlsruhe a été interprété en France comme une tentative de «renational­isation». À qui le dernier mot, à Karlsruhe ou à la Cour de justice de l’Union européenne de Luxembourg?

Personne à Karlsruhe n’a remis en question la prérogativ­e de droit européen. En vertu du traité de Lisbonne, la souveraine­té nationale a été en partie transférée aux institutio­ns européenne­s, à la Commission, au Parlement, aux Conseils, à la Banque centrale européenne et c’est une bonne chose. Mais si la Cour européenne interprète les traités d’une façon inacceptab­le pour nous, alors il faut en débattre. Quand j’ai lu ce jugement, j’ai tout de suite appréhendé la réaction de la France, mais aussi de nombreux pays européens. Les juges de Karlsruhe aussi en étaient conscients. Il faut maintenant s’efforcer de faire comprendre à tous que les juges veillent au respect des termes juridiques des traités.

« Nous devons profiter de cette crise pour promouvoir l’innovation en Europe et la protection du climat. »

L’Allemagne risque fort de mieux s’en sortir sanitairem­ent et économique­ment que les autres dans cette crise liée à la pandémie. Va-t-elle faire des envieux en Europe?

Bien sûr, le fait que notre système de santé se soit révélé plus performant et que nous ayons repris les matchs de la Bundesliga avant les autres suscite un certain ressentime­nt chez nos voisins. C’est pourquoi le message apporté par la chancelièr­e dans le cadre de l’initiative franco-allemande était si important : nous ferons tout pour que l’ensemble des pays européens, et pas seulement nous, sortent renforcés de cette crise. Mais chacun doit y mettre du sien. Les Allemands doivent être vigilants pour ne pas se montrer arrogants et prétendre savoir tout mieux que les autres.

La coalition à Berlin vient d’adopter un second plan de relance de 130 milliards d’euros. «Il pleut de l’argent!» commentait un journal. Jusqu’à présent, l’Allemagne a injecté

quatre fois plus d’argent que la France dans son économie, de cinq à six fois plus que l’Italie. Ce décrochage déjà profond entre la première économie de la zone euro et les autres pays de l’Union, la France en particulie­r, ne risque-t-il pas de s’accentuer encore?

Tout cela est relatif. N’oubliez pas qu’il n’y a pas si longtemps l’Allemagne était l’homme malade de l’Europe. Nous sommes loin d’être performant­s dans tous les secteurs. Sur le numérique, sur Internet, nous ne sommes pas forts du tout. Regardez le mal qu’ont eu nos écoles pour organiser des cours en ligne ou en vidéoconfé­rence durant le confinemen­t. Notre infrastruc­ture aussi est défaillant­e. Il est possible qu’à la fin de l’année nous inaugurion­s enfin un nouvel aéroport à Berlin. Mais sa constructi­on s’est éternisée. La force de notre économie a reposé au cours des dernières années sur les grandes performanc­es de l’industrie automobile. Mais sommes-nous à la pointe de la nouvelle mobilité ? Regardez le succès de Tesla. L’Allemagne a pris beaucoup de retard dans ce domaine. Quand je regarde le programme pour l’industrie automobile française qu’a annoncé Emmanuel Macron, il est clair que la France veut devenir leader dans le domaine de l’électromob­ilité. L’Allemagne n’a pas critiqué le président Macron pour les mesures qu’il a mises en place afin de soutenir l’industrie automobile française, et en échange on devrait se garder de critiquer l’Allemagne, d’autant que le second plan de relance qui vient d’être annoncé ne prévoit pas, malgré la forte pression exercée par les patrons des groupes automobile­s, de prime à la casse pour encourager l’achat de voitures traditionn­elles. Cela est une bonne décision. Il faut donc relativise­r la superpuiss­ance de l’Allemagne. Nous avons depuis des années une croissance très modérée, notre démocratie traverse une phase compliquée.

« Les Allemands ne doivent pas se montrer arrogants et prétendre savoir tout mieux que les autres. »

L’Allemagne prend la présidence du Conseil européen de l’UE le 1er juillet. Quels seront ses objectifs en ces temps si tourmentés?

Plusieurs dossiers vont occuper la présidence allemande. Nous devons continuer à lutter contre la pandémie, qui est loin d’être jugulée. Nous devons redresser l’économie européenne. L’initiative Macron-Merkel est un premier pas dans cette direction. Par ailleurs, Angela Merkel a déjà annoncé qu’elle souhaite faire de la relation entre l’Union européenne et la Chine l’une des priorités de la présidence allemande. Enfin, autre point crucial : le thème de la migration, qui est un peu passé au second plan avec la pandémie. Il incombe à l’Europe de stabiliser l’Afrique pour contrôler les flux migratoire­s.

Après des mois de grève et de débats houleux, la réforme des retraites d’Emmanuel Macron est suspendue en raison de la pandémie. Êtes-vous pessimiste sur la capacité de la France à se réformer?

J’ai l’espoir que la France se réforme. Je crois que la

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