Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

Le bonheur, c’est simple comme l’ouverture des bars. Mais si on ouvre les bars, il faut aussi ouvrir les toilettes des bars, et comment le faire si l’intérieur des bars, comme en Île-de-France, reste interdit aux consommate­urs ? Qu’importe, la vie reprend. On est tous d’accord là-dessus. On se prélasse à la plage, on se délasse en forêt. Les parcs et les jardins nous sourient. Il y aura de nouveau des films à voir au cinéma et des pièces à regarder au théâtre. Petit à petit, les musées rouvrent. À moi, Picasso et Léonard de Vinci. Les concerts : come-back de Mozart et de Beethoven. Les grands magasins ne sont pas en reste, offrant avec extase leurs étalages aux rescapés du coronaviru­s. Les ministres, rassemblés sous l’égide de l’homme à la barbe bicolore, encouragen­t les Français à consommer. Entrez dans les boutiques, ce n’est pas le masque qui vous empêchera d’acheter toute la boutique. Cette réclusion de huit semaines nous aurait-elle fait perdre l’habitude d’ouvrir notre portefeuil­le ? Je crains, du reste, un retour de bâton pour Netflix et Amazon. Toutes les séries sont bêtes, non contentes d’être chronophag­es. Les Français avaient du temps pour elles, qui est maintenant du temps pour eux. Le simple bonheur de pédaler sur un vélo plus ou moins neuf, seul ou en famille, suffirait-il à remplir d’aise nos concitoyen­s? C’est une renaissanc­e, d’aucuns se risquent même à parler de résurrecti­on alors que le pape François a célébré Pâques tout seul dans son palais du Vatican. Il m’a bien fait rire quand il a dit qu’après l’épidémie le monde serait meilleur ou pire. C’était beau comme du Jean d’Ormesson (1925-2017). La barrière des 100 kilomètres supprimée : encore plus émouvant que la création de l’espace Schengen. C’est l’euphorie nationale, le plaisir de vivre retrouvé. Le culte du corps autorisé à être célébré dans les stades et dans les piscines. La gaieté est telle dans notre pays qu’on en oublierait presque ce que nous avons vécu, c’est-à-dire rien, pendant le confinemen­t.

Il faudrait que, dans cette grande cérémonie des retrouvail­les des Français avec eux-mêmes, on fasse une place, même modeste, aux 30 000 victimes du Covid-19. Elles ont été aspirées par la mort à toute vitesse et presque sans bruit, comme des poussières. C’étaient pour la plupart des personnes âgées déjà un peu retirées de la vie, submergées par leurs souvenirs de jeunesse, d’amour et d’amitié. Elles ont été enfermées dans un Ehpad ou un hôpital avant de l’être dans leur cercueil. Privées de visite, même à leur enterremen­t. Sans qu’on puisse les voir ni les entendre puisqu’on ne s’approchait plus d’elles, elles sont tombées face à ce géant fou armé de mille flèches mortelles. Ont livré un combat désespéré avant de s’étendre dans le silence comme un enfant qui a trop sommeil. Elles ont marché au feu sans leurs proches, perdues dans la plaine brumeuse de leur grand âge. Ne rions pas trop fort à côté de leurs ombres légères qui rôdent, un peu déçues, autour de nos amusements retrouvés. Cette longue file de martyrs, il sera convenable de la célébrer d’une manière ou d’une autre, quand, nous tous, nous serons rassasiés de la satisfacti­on d’être encore vivants

Il faudrait que, dans cette grande cérémonie des retrouvail­les des Français avec eux-mêmes, on fasse une place, même modeste, aux 30 000 victimes du Covid-19.

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La vie reprend à la terrasse des cafés.

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