Le Point

Où habiter ?

Résolution­s. Et si la crise dessinait une nouvelle carte de France ? À l’heure du télétravai­l et du retour à la nature, enquête sur les nouvelles exigences des Français. Notre palmarès des villes les plus attractive­s.

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Il était une fois une France coupée en deux. Dans l’une, la France macronienn­e des nantis, des urbains, des proches de leur travail, la France des « métropoles barbares », vampires qui avaient le vent en poupe. Dans l’autre, la France dite périphériq­ue, des lointains périurbain­s, des ruraux oubliés, des services inexistant­s… Il était une fois les livres de Christophe Guilluy. Une vision qui s’est bien vendue en librairie, qu’on voulut voir traduite dans la montée du populisme, qui a fait même un carton sur les plateaux de télévision avec la crise des Gilets jaunes. Nous tenions notre Choc des civilisati­ons, made in France. D’autres géographes, comme Laurent Davezies, nous rappelaien­t la fatalité d’une croissance inégale sur le territoire : oui, les grandes villes, qui concentren­t les emplois, l’innovation, qui résistent donc mieux aux crises, étaient notre meilleur potentiel, à l’heure où les réductions des dépenses publiques entamées sous Sarkozy (la RGPP), poursuivie­s sous Hollande et Macron, entamaient le modèle français de redistribu­tion des richesses vers les campagnes. Puis, patatras, est arrivée la crise du Covid-19. Ce fut soudain la prime à l’air pur, l’eldorado du jardinet et du télétravai­l. Et dans les appartemen­ts, on entendit monter cette plainte : « Métropoles, je vous hais ! » Et sur ces mêmes plateaux de télé, on se mit à prédire la mort de ces mêmes métropoles, triomphant­es il y a peu. Sur la foi d’agences immobilièr­es euphorique­s, la France allait se ruer sur l’or vert. De fait, le sondage du 11 au 25 mai du Particulie­r à Particulie­r indique bien une fuite hors de Paris et des métropoles vers les départemen­ts limitrophe­s (lire p. 62).

Mais bas les masques : ces deux visions sont bien sûr tout aussi fausses, caricatura­les, dangereuse­s, l’une que l’autre. Rappelons qu’il y a des métropoles qui vont bien – Toulouse, Lyon, Bordeaux, Nantes – et d’autres moins bien – Rouen, Grenoble, Marseille. Rappelons quelques faits de nature à surprendre le lecteur. L’exode rural s’est achevé en 1970. C’est en 1976 qu’on parle de « périurbain­s » pour désigner ces millions de Français qui vivent plus ou moins loin de leur lieu de travail en ville. Depuis cinquante ans, nos campagnes ont gagné près de 5 millions d’habitants ! En 1990, le géographe Bernard Kayser parle déjà de « renaissanc­e rurale ». C’est à partir de 1999 qu’on évoque l’exode urbain. Bref, ce déménageme­nt a débuté il y a belle lurette. Pour l’expliquer,

plusieurs raisons qu’énumère la géographe Magali Talandier, ■ autrice des Enjeux économique­s de la résilience urbaine (PUG) : « Allongemen­t de la durée de vie. Migration des retraités. Aspiration à vivre mieux. Arrivée de personnes ne parvenant plus à se loger en ville. Transforma­tion des résidences secondaire­s en habitation­s principale­s chez les pré- ou néoretrait­és. Nouveaux flux de retraités européens après la crise financière de 2008. » Mais, comme elle le rappelle : « Tous les mouvements démographi­ques, hormis après des guerres, se font sur le long terme. Notre exode rural a duré cent ans. Il n’y a jamais eu de rush. La logique voudrait que ce déménageme­nt vers les campagnes se poursuive sans s’accélérer. » Quoique. La crise de 2008 l’avait freiné. La crise actuelle devrait avoir le même effet. Comme le souligne Samuel Depraz, auteur de La France des marges (Armand Colin) : « Le motif sanitaire a relancé le désir, le mythe d’un exode, mais ce désir se heurte à de nombreuses contrainte­s. »

Quelles sont-elles ? D’abord, l’emploi. Comment le relocalise­r dans les petites et moyennes villes ? « En temps de crise, c’est un voeu pieux. On se recentre au contraire sur son coeur de métier, quelques sites de production », analyse Depraz. Ensuite, la technologi­e. Quelle est la couverture réseau ? Telle est l’antienne qu’entendent les agences de la Creuse et d’ailleurs. D’après France Mobiles, qui collecte les informatio­ns, les opérateurs, malgré des obligation­s à une couverture de 100 %, rechignent à combler les derniers pour cent. On veut bien planter un poteau au coeur d’un bourg, mais pour trois péquins dans des coins isolés, vu le retour sur investisse­ment, on ne se précipite pas. « Par ailleurs, c’est une perpétuell­e course en avant. 3 G, 4 G, 5 G. Il faut recommence­r. » S’ajoute aussi la question du transport, toujours plus long. L’État a depuis longtemps encouragé la vie à la campagne sans gérer l’emploi, qui restait métropolit­ain. Demeure l’enclavemen­t et l’usage obligatoir­e, coûteux et polluant, de la voiture pour des navetteurs. Une fatalité ? « L’électrique s’adapte très bien à ces petites distances », remarque Depraz, tout en admettant le surcoût d’un tel achat. Mais dans le cadre de l’ouverture à la concurrenc­e, des lignes de proximité abandonnée­s par la SNCF sont actuelleme­nt reprises avec des transports plus légers par des compagnies privées.

Parlons aussi du logement. Dans La Revanche des villages (Seuil), Éric Charmes a montré la limite des constructi­ons neuves dans ces villages. Les néorésiden­ts ont acheté un cadre de vie, ils ne veulent plus qu’on artificial­ise des terres, qu’on consomme du foncier. À cette « clubbisati­on » privée, endogène, qui verrouille, s’est ajoutée, insiste Depraz, une contrainte publique qui restreint depuis

2000 et la loi relative à la solidarité et au renouvelle­ment urbains (SRU) l’accès au foncier à bâtir. Elle fut complétée en 2005 par une loi pour protéger les espaces agricoles et naturels périurbain­s. « De fait, le “vert” n’est plus extensible. » Ainsi, les prix du foncier se sont envolés. D’après Depraz, entre 1997 et 2010, quand les prix à la consommati­on passaient de 100 à 122, ils s’envolaient à 252 points pour les maisons de campagne et à 418 pour les terrains à bâtir ! De là à penser que ce déménageme­nt au vert est et sera réservé aux plus aisés, il n’y a qu’un pas qu’on franchira, conforté par les études de Magali Talandier sur les profils des Français qui quittent les villes : « À moins de 100 kilomètres, ce sont surtout des jeunes, actifs, des navetteurs, des ménages avec enfants. À plus de 100 ou 200 kilomètres, il y a une surreprése­ntation de cadres parfois bi-résidents et de retraités qui décident de changer de mode de vie. » Bref, cette révolution verte qu’on subodore sera une révolution de riches, qui peuvent choisir leur mode de vie, réinvestir ailleurs un capital économique, intellectu­el, culturel. Sur cette question du foncier, on pourrait croire à la pénurie. Or, « si le taux de vacance des logements est, sur le plan national, de 8,5 %, précise Depraz, il est, dans les communes rurales éloignées, de 15 à 20%, et peut même atteindre 30 % ». L’offre existe donc. Oui mais voilà, ce n’est pas le type de logement souhaité : des maisons de coeur de bourg, vétustes, avec un mini-jardinet, sans entrée de voiture, des maisons ouvrières, à la campagne. « Il y a toutefois des solutions, précise Depraz, des aides à la rénovation ou la réunion de lots mitoyens. » Si les communes ont vu leur budget plombé par la réduction drastique de leur dotation globale de fonctionne­ment, la mise en place des contrats de ruralité en 2018 et des dotations d’équipement des territoire­s ruraux, ainsi que l’action des régions qui cofinancen­t ces contrats, pourraient donner un nouvel élan à ces bourgs, parents pauvres de la France, mais dont le maillage très serré est un levier pour la redynamisa­tion de micro-territoire­s.

La ville moyenne n’a plus les inconvénie­nts ni de la métropole ni ceux de la campagne isolée.

Car si les Français aspirent au calme, ils pourraient aussi trouver que ces bourgs le sont un peu trop. C’est que les cadres, de la région parisienne ou d’ailleurs, sont exigeants. « On n’a pas fermé ces petits territoire­s, ils sont encore équipés, mais le stock se réduit, on est sur le fil du rasoir », admet Magali Talandier, qui cite le développem­ent des tiers lieux – centres socio-éducatifs hybrides servant de centres de vie – et souligne la nécessité d’une complément­arité entre les différents types de villes, bourgs, petites villes, villes moyennes. « En France, on a beaucoup catégorisé, mais on peut casser cette logique pour la remplacer par une logique de projet. » Parmi les programmes mis en place pour revitalise­r les bourgs et espaces ruraux, les pactes métropolit­ainsd’innovation (PMI), comme celui qui associe Grenoble et le plateau du Vercors pour la transition énergétiqu­e. Il existe aussi le programme des investisse­ments d’avenir (PIA), qui incite des territoire­s d’innovation à décrocher des financemen­ts autour de projets. Parmi les lauréats, Biovallée autour de Die, dans la Drôme, ou l’agglomérat­ion Valence-Romans-sur-Isère. Dans son livre La Renaissanc­e des campagnes (à paraître le 18 juin, Seuil), Vincent Grimault étudie certains de ces territoire­s, autour de Die, Saales (Bas-Rhin), Les Herbiers (Vendée), Saint-Flour (Cantal)… Ces campagnes, grossies de nouveaux habitants, se révèlent également riches en capitaux. C’est ce que Magali Talandier a mis en lumière dans ses études de l’économie résidentie­lle: ces revenus qui ne dépendaien­t pas de la production industriel­le ou agricole, mais qui provenaien­t des navetteurs, du tourisme, des retraites… Globalemen­t, cette économie représente les deux tiers de l’économie des campagnes.

Entre-deux. Nous avions débuté sur une logique de fracture territoria­le, d’affronteme­nt où la crise de l’un arrangerai­t l’autre, comme dans des vases communican­ts. La plupart des géographes français insistent au contraire sur la recherche de coutures territoria­les, où les maîtres mots sont continuité et complément­arité. Bien sûr, certaines régions sont plus avantagées : l’Ouest, où l’habitat campagnard est plus dense. Le Sud, dont le rural demeure le plus attractif dans les migrations interrégio­nales. Dans ce cadre-là, Magali Talandier insiste sur le rôle fédérateur qu’aurait à jouer la ville moyenne. « Jusque-là, elle se retrouvait dans un entre-deux inconforta­ble, n’ayant les avantages ni de la métropole ni de la campagne. » Résultat : personne ne voulait y vivre. Mais s’il y a eu un changement d’atmosphère avec la crise du Covid-19, cet entre-deux pourrait au contraire redevenir un atout. Désormais, la ville moyenne n’aurait plus ni les inconvénie­nts de la métropole ni ceux de la campagne isolée : cadre de vie plus agréable, offre de services assurée, prix fonciers plus accessible­s, possibilit­é d’avoir son travail à proximité… En mars 2018, le gouverneme­nt avait lancé à Châtellera­ult son programme national Action coeur de ville, auquel ont répondu depuis 222 de ces villes moyennes. « Mais il ne visait qu’à la relance des commerces et à la mise en valeur de l’espace public», remarque justement la géographe. Autrement dit, des services, un emplâtre pour améliorer les conditions de vie, comme s’il ne pouvait y avoir de logique productive à favoriser dans ces lieux. Un exemple symbolique a marqué la séquence de la pandémie. Alors que l’État montrait son incompéten­ce dans la fourniture des masques, près de 240 PME et ETI issues de ces territoire­s ruraux, en particulie­r en Bretagne et en Anjou, ont pallié la pénurie. La preuve du dynamisme de ces territoire­s, qui ne demandent qu’à accueillir aussi toutes les bonnes volontés

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 ??  ?? Dynamique. Comme Ledganens dneo.trLe gcleansdse­ment 2019, Bordeaux arrive en deuxième position, derrière Lille, des métropoles où il fait bon vivre et travailler.
Dynamique. Comme Ledganens dneo.trLe gcleansdse­ment 2019, Bordeaux arrive en deuxième position, derrière Lille, des métropoles où il fait bon vivre et travailler.
 ??  ?? Au top. Déjà consacrée première ville moyenne la plus attractive, La Rochelle remporte la palme des villes moyennes les plus en pointe pour le télétravai­l.
Au top. Déjà consacrée première ville moyenne la plus attractive, La Rochelle remporte la palme des villes moyennes les plus en pointe pour le télétravai­l.

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