Les années folles du quantique
Il y a un siècle, à Bruxelles, la crème des chercheurs réinventait la physique. Un livre retrace cette épopée collective.
Ne vous arrêtez pas à leur mine un rien chafouine, à l’intitulé docte du colloque « Électrons et photons », ou encore au fait que, sur les 29 personnalités prises en photo, 17 ont décroché un prix Nobel : le cliché ci-contre, pris en 1927 dans le parc Léopold de Bruxelles, rassemble sans doute la bande de scientifiques la plus rock’n’roll de l’histoire de la physique. Venus de l’Europe entière, de Cambridge, de Copenhague, de Göttingen, ils se rencontraient tous les quatre ans à Bruxelles, la plupart du temps à l’Institut de physiologie, mais aussi dans lessalonsArtnouveaudel’hôtelMétropole. Sur l’image, on reconnaît aisément Albert Einstein, Marie Curie ou Max Planck.
C’est cet âge d’or de la physique que relatent, dans Fantaisies quantiques, la romancière Catherine D’Oultremont et Marina Solvay, l’arrière-petite-fille de l’autodidacte passionné qui a découvert un procédé de fabrication de soude. Créateur du groupe de chimie basé à Bruxelles, il fut le principal mécène de ces rencontres. L’ouvrage retrace les fulgurances et doutes du Danois Niels Bohr, ceux du théoricien allemand de l’indétermination Werner Heisenberg et du génial Français Louis de Broglie. Tous travaillaient dans une sorte de fièvre collective : « C’est à la main ou à la règle qu’ils faisaient leurs calculs, par lettres ou cartes postales qu’ils correspondaient, en bateau qu’ils traversaient les océans, en train qu’ils parcouraient l’Europe », note le physicien Étienne Klein dans sa préface. « Alors qu’Alfred Nobel créa avec ses prix un système destiné à cou
ronner des travaux aboutis, Ernest Solvay encouragea des chercheurs du monde entier à travaillerensemblepourrésoudredesproblèmes, cocréer et être à l’avant-garde de leurs disciplines. Ceci deviendra l’ADN de notre groupe », analyse la physico-chimiste Ilham Kadri, aujourd’hui à la tête de l’entreprise.
Ce bouillonnement intellectuel a tenté de percer les mystères de l’infiniment petit, et notamment l’interaction entre la lumière et la matière, à l’échelle la plus granulaire possible. Un monde où les échanges d’énergie se faisaient avec des quanta, des niveaux d’énergie bien précis déterminés par la fréquence de la lumière. Un feuilleton où les électrons, les photons et les atomes ont les rôles principaux. « Comprendre leur interaction a joué un rôle crucial plus tard dans la création des GPS, des lasers, des panneaux solaires photovoltaïques ou encore de la fibre optique », explique le consultant en innovation et auteur Olivier Ezratty, qui y voit également un changement de paradigme.
Jubilation. « Ce que cette discipline a de révolutionnaire, c’est qu’elle décrit l’état physique des systèmes, quels qu’ils soient, par une entité mathématique, la fonction d’onde. Celle-ci s’écrit, en général, comme la somme de plusieurs fonctions représentant chacune un état particulier, affecté d’un certain coefficient : c’est ce qu’on appelle une “superposition” d’états possibles. » Car, du passé, il fallait faire table rase. «Cette situation est sans équivalent en physique classique. La théorie stipule en effet que, connaissant la fonction d’onde, on ne peut en général pas déterminer le résultat d’une mesure, mais seulement calculer les probabilités d’obtenir tel ou tel résultat. Et parmi tous les résultatspossiblesapriori,unseulestsélectionné, au hasard, par l’opération de mesure », poursuit Étienne Klein.
Cette histoire est riche en moments de jubilation intellectuelle. Comme lorsque Niels Bohr, s’appuyant sur un dessin griffonné sur tableau, se vit, dans un salon marbré de l’hôtel Métropole, alpagué par Einstein : « Laissons un moment l’incertitude et les probabilités de côté… Dieu ne joue pas aux dés, M. Bohr ! » Ce à quoi le Danois
■