Bal des fantômes à La Havane
Barroco bordello, une plongée vertigineuse et poétique dans un Cuba hanté par Desnos, Hemingway, Simenon…
«Prendsbiengardeauxîles,auxîlots,auxpresqu’îles, aux baies souriantes, aux calmes havres, aux golfes, ports, villages côtiers, isthmes, aux archipels, et à leurs sortilèges épicés », lance au narrateur de Barroco bordello l’une de ses maîtresses. Et pourtant, il va s’empresser de tomber sous le charme de la magnétique Cuba. C’est d’abord à La Havane, dans les pas de Desnos, qu’il se rend. Le poète y fut en effet invité en 1928. Mais les traces de son passage sont ténues, alors ne faut-il pas plutôt les rêver ? Amoureux fou de l’île, dont il connaît par coeur la carte de Tendre, littéraire et sensuelle, Thierry Clermont, à qui l’on devait déjà un subtil pèlerinage en terre vénitienne, San Michele, nous offre ici une exploration poétique et érudite du mythe cubain, des instants, des images, et des phrases qu’on relit : « La Havane palpite dans la splendeur du jour au bleu naissant, préparant les excès de midi. » Il traque les silhouettes qui hantent les lieux et en tissent la légende. Hemingway, Sartre et Beauvoir, Anaïs Nin, Isadora Duncan, mais aussi Lucky Luciano, qui organisa un congrès de la pègre à La Havane en 1946.
Barroco bordello est un grand bal des fantômes qui a de quoi donner le vertige. Caraïbe. Celui que cherche sans doute le narrateur, épris de beauté sous toutes ses formes. La poésie, bien sûr. Mais aussi ces femmes flamboyantes ou émouvantes aux allures de pythies qui jalonnent sa route. « L’enjeu de l’amour, c’est de créer de l’inconnu », professe l’une d’elles. Celui de la littérature aussi, comme le prouve ce périple enchanteur
■ Barroco bordello, de Thierry Clermont (Seuil, 224 p., 19 €).