Le Point

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

S’il y avait une statue à déboulonne­r d’urgence, ce serait celle de la justice française. Métaphoriq­uement s’entend, ne participon­s pas à la débilité ambiante. Quand elle se mêle de politique, elle devient souvent folle, sectaire, partisane.

Pourquoi l’effigie de la justice porte-t-elle encore sur les yeux un bandeau, symbole d’impartiali­té, ou dans la main gauche la balance de Thémis, qui représente l’équité ? Sur les affaires politiques, elle n’a plus l’usage ni de l’un ni de l’autre. Lui reste toujours le glaive (à un seul tranchant) qu’elle utilise souvent en dépit du bon sens.

Il y a quelque chose de vicié dans la justice française. Si beaucoup de magistrats continuent, Dieu merci, de juger en droit, nombreux sont ceux qui souffrent de la « tournairit­e », du nom du fameux juge Serge Tournaire, qui a instruit à charge les dossiers de MM. Fillon et Sarkozy. Aux yeux de cette engeance militante, naviguant généraleme­nt dans les eaux de l’ultragauch­e, la justice n’est que la continuati­on de la politique par d’autres moyens.

Sous la signature de Marc Leplongeon, le site du « Point » a révélé, la semaine dernière, les incroyable­s déclaratio­ns de la procureure Éliane Houlette devant la commission d’enquête parlementa­ire sur l’indépendan­ce de la justice. Ancienne cheffe du Parquet national financier (PNF), elle a évoqué une « pression très lourde » de sa hiérarchie pendant l’affaire Fillon, lors de la dernière campagne présidenti­elle, allant jusqu’à dénoncer « un contrôle très étroit ».

Comme il s’agit apparemmen­t d’un scandale d’État, M. Macron s’est empressé de saisir les « sages » du Conseil supérieur de la magistratu­re qui se dépêcheron­t, comme sur l’affaire d’Outreau, de mettre un mouchoir dessus. Le farceur ! Sans se prononcer sur le fond, l’enquête préliminai­re contre François Fillon et sa mise en examen à quelques jours du premier tour resteront quand même dans nos annales comme un déni de justice. La honte de la jungle.

Que « Le Canard enchaîné » ait fait son travail en publiant une longue enquête sur les emplois présumés fictifs de la famille Fillon, c’est le signe d’une bonne santé démocratiq­ue. Rien à redire. Mais que le PNF d’Éliane Houlette ait ensuite pu ouvrir la voie à la mise en examen de l’ancien Premier ministre en pleine campagne présidenti­elle, avant le premier tour de scrutin, il y a là quelque chose qui rappelle les moeurs désolantes du Venezuela et des république­s bananières. Pendant qu’on y était, pourquoi ne l’avoir pas envoyé aussitôt en détention provisoire ? C’eût été moins hypocrite.

Que justice passe, tout le monde est pour. Mais nos magistrats ne pourraient-ils pas observer une trêve pendant les derniers jours des campagnes électorale­s au lieu de se ventrouill­er dedans avec ostentatio­n ? Question de décence, de respect démocratiq­ue, comme c’était jusqu’à présent (à peu près) l’usage. Cette affaire Fillon a montré à quel point notre justice est malade : gangrenée par la politisati­on, elle n’hésite plus à s’immiscer ouvertemen­t dans les campagnes électorale­s en déstabilis­ant certains candidats qui, comme par hasard, sont toujours à droite.

C’est ce qui vient d’arriver à Martine Vassal, candidate LR à la mairie de Marseille. Après que France 2 eut diffusé une enquête sur le recours de ses équipes aux procuratio­ns pour les municipale­s – rien à redire, encore –, voilà que la justice, d’ordinaire si lente, s’est mise en marche illico et a perquisiti­onné à tout-va. Puisque le pli est pris, pourquoi ne pas incarcérer désormais tous les candidats de droite avant les scrutins ?

«Selon que vous serez puissant ou misérable/ Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » Nous avons tous en mémoire les vers de La Fontaine dans sa fable Les Animaux malades de la peste. En ce qui concerne les personnali­tés politiques, il faut les réécrire : « Selon que vous serez de gauche ou de droite… » Notre justice est de plus en plus bancale, biaisée, hémiplégiq­ue. Politique.

Certes, pour donner l’illusion d’un équilibre, la justice s’en est prise à La France insoumise, lançant en 2018, dans le cadre d’une enquête sur les comptes de la campagne présidenti­elle, des perquisiti­ons qui ont mobilisé, dans des conditions insensées, une centaine de policiers. Au fou ! Mais, pour l’heure, c’est quand même la droite qui trinque le plus. Depuis quatre ans, le député macroniste Thierry Solère est accusé de fraude fiscale ou de détourneme­nts de fonds publics, sur la base d’un dossier truffé de contre-vérités, de fausses preuves. Après un non-lieu et deux classement­s sans suite, la justice vient d’ordonner la relance des investigat­ions dans le cadre de la plainte pour viol déposée contre Gérald Darmanin. On en reparlera sûrement encore dans trente ans ! Quant à Emmanuel Macron, son tour viendra en 2022, on prend tous les paris.

Au train où vont les choses, il faudra bientôt écrire le mot justice avec des guillemets ■

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