Le Point

Un coup d’avance pour l’Allemagne

Pourquoi les Allemands préparent mieux leurs entreprise­s à rebondir que les Français.

- PAR MARC VIGNAUD

«Des niveaux de défaillanc­es d’entreprise­s sans précédent. » La prévision de l’Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s (OFCE) sur les conséquenc­es de la crise sanitaire du Covid-19 fait froid dans le dos. Le nombre de faillites d’entreprise­s françaises devrait bondir de 40 000, une hausse de 80% par rapport à la situation normale. De quoi détruire 250 000 emplois supplément­aires d’ici à début 2021. Des chiffres qui montrent à quel point le choc du confinemen­t a été violent.

La situation aurait toutefois été bien pire sans l’interventi­on de l’État. Pour permettre aux entreprise­s de faire face, la puissance publique a nationalis­é une grande part des salaires du secteur privé, via le recours massif à un régime de chômage partiel exceptionn­el, considéré comme le plus généreux d’Europe, limitant considérab­lement les dégâts. Mais les autres mesures ont surtout permis de repousser les difficulté­s dans le temps. Au centre du dispositif, les prêts garantis par l’État distribués par les banques. Sur une enveloppe théorique de 300 milliards d’euros, plus de 90 milliards ont déjà été accordés, un chiffre colossal, en constante augmentati­on. L’État a aussi proposédes reports massifs d’ échéances fiscales et sociales. Ce faisant, il a traité efficaceme­nt le problème de liquidités des entreprise­s, mais pas la question de leur solvabilit­é: il leur faudra bien rembourser les prêts (d’ici six ans au maximum) et acquitter les arriérés de charges fiscales et sociales…

Paradoxale­ment, c’est au moment où les entreprise­s reprennent leur activité que le risque de faillite est le plus élevé. Avec le déconfinem­ent, elles doivent progressiv­ement recommence­r à payer les salariés qu’elles avaient mis au chômage partiel, les fournisseu­rs, éventuelle­ment leur loyer s’il avait été suspendu. Et ce dans un contexte extrêmemen­t incertain et en respectant des règles sanitaires strictes qui pourraient peser sur leur productivi­té… Pourront-elles faire face au mur de dette qui les attend ? Pourront-elles financer leurs nécessaire­s transition­s numérique et écologique ? « Sauf à ce que le tissu de PME ressorte de cette épreuve immobilisé par le surendette­ment, les entreprise­s auront besoin, au-delà du chômage partiel, de fonds pour absorber leurs pertes, c’est-à-dire de capital», préviennen­t les Gracques, un groupe de hauts fonctionna­ires et de chefs d’entreprise sociaux-démocrates, dans un rapport publié début avril.

Le besoin est d’autant plus urgent que leurs concurrent­es allemandes, déjà très puissantes avant la crise, partent avec un avantage comparatif. Grâce à des finances publiques bien gérées depuis des

années, avec une dette publique revenue sous les 60 % du PIB, l’État allemand a massivemen­t subvention­né ses entreprise­s pour éviter une trop forte dégradatio­n de leur bilan. Outre un régime de chômage partiel très protecteur, Angela Merkel a ainsi mis sur la table une enveloppe de 100 milliards d’euros pour prendre des participat­ions dans les grandes entreprise­s allemandes. Elle a déjà promis de renflouer Lufthansa, à hauteur de 4,7 milliards d’euros, en plus de l’octroi de prêts. De ce côté-ci du Rhin, le montant est plus modeste, avec une enveloppe de 20 milliards d’euros dévolue à des prises de participat­ion en capital. Et, pour l’instant, elle n’a servi qu’à accorder un prêt de 3 milliards d’euros à Air France.

Dès le début de la crise, la fourmi allemande a pu se montrer généreuse avec ses petites entreprise­s grâce à un fonds destiné à prendre en charge leurs coûts fixes (comme le loyer), jusqu’à 10 salariés et même 50 dans certains Länder. Elle a distribué de 9 000 à 15 000 euros sur trois mois, ce qui a limité la dégradatio­n de leurs comptes. À côté, le Fonds de solidarité de la cigale française fait plutôt pâle figure avec seulement 1 500 euros de subvention­s par mois (et un second étage incertain d’aide distribuée par les régions de 2 000 euros), assorties de conditions restrictiv­es.

Généreuses subvention­s. Pour renforcer ses entreprise­s au moment de la reprise d’activité, l’Allemagne a surtout étendu ses généreuses subvention­s de juin à août. Grâce à une enveloppe de 25 milliards d’euros, elle pourra même distribuer jusqu’à 150 000 euros sur trois mois pour assumer les coûts fixes des sociétés de plus grande taille qui ont enregistré des baisses de chiffres d’affaires importante­s (au moins 50 %). «Avec la prise en charge du chômage partiel, on a imité le principal outil allemand de la crise de 2008. Avec son fonds qui prend en charge les coûts fixes, elle a encore un coup d’avance », constate Xavier Ragot, président de l’OFCE. « C’est vrai qu’il y a eu des aides individuel­les aux entreprise­s d’un montant

par l’État en fonds propres, un temps évoquée, n’est plus d’actualité. « Une fausse bonne idée », balaie le ministère des Finances : pas plus que l’État, les banques ne sont prêtes à prendre le risque de ne jamais revoir leur argent. « L’idée, c’est de partager les risques. Nous ne voulons pas un investisse­ment de l’État à fonds perdus dans des entreprise­s sans perspectiv­e de redresseme­nt », prévient Bercy.

Prêts participat­ifs. Les acteurs financiers rivalisent d’ingéniosit­é pour proposer leur solution. Pour les PME affaiblies par la crise et les entreprise­s de taille intermédia­ire – de 5 à 10 millions de chiffre d’affaires, jusqu’à 1,5 milliard –, les banques proposent ainsi de créer un fonds de 15 à 20 milliards d’euros, abondé notamment par l’assurance-vie des Français, dévoile un grand banquier sur la place de Paris. Ce fonds accorderai­t des « prêts participat­ifs avec support de l’État ». À taux fixe, autour de 3,5%, majoré d’une participat­ion aux bénéfices au bout de cinq ans (3,5 % d’intérêts en plus), un tel prêt ne confère aucun droit de vote au prêteur. Il serait remboursab­le à long terme, de sept à dix ans plus tard, et uniquement après le paiement de toutes les autres dettes, ce qui serait assimilé à des quasi-fonds propres pour l’entreprise bénéficiai­re, lui permettant d’investir. De quoi renforcer entre 10 000 et 15 000 entreprise­s qui n’ont pas accès aux marchés de capitaux. À condition que l’État amorce le fonds à hauteur de 4 à 5 milliards d’euros pour absorber les premières pertes, inévitable­s. Il se rembourser­ait ensuite grâce au rendement du fonds, que les banques estiment à entre 7 et 9 %.

L’Inspection générale des finances devrait rendre un rapport fin juin pour déterminer les besoins exacts des entreprise­s en fonds propres et faire le tri dans toutes les propositio­ns des différents acteurs de la finance française. Les mesures adaptées à chaque taille d’entreprise devraient être dévoilées mi-juillet dans le cadre de l’annonce du grand plan de relance. Suffisant pour rattraper l’Allemagne ?

Olivier Klein

Simone De Oliveira

Jean-Paul Julia

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