Le Point

Les meilleurs cabinets d’avocats en 2020.

Distingués par le jury des Toges du Point 2020, Patrice Spinosi et François Sureau partagent la même vision d’une législatio­n juste et tolérante.

- PAR MARIE-LAURE DELORME

Au-dessus du canapé, une tête de mort. La vanité en peinture est censée nous faire réfléchir sur la vacuité en société. Les hommes courent puis meurent. Nous sommes dans le bureau de Patrice Spinosi. Face à la tête de mort accrochée au mur, il confie appréhende­r les victoires et les défaites sans jamais perdre de vue la finitude des choses. « Quel que soit l’enjeu du contentieu­x auquel vous êtes confronté, on finit tous comme ça. » La vaste pièce est envahie par un grand désordre. Des feuilles, des dossiers, des journaux. Le désordre ressemble à la vie. Les deux avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation sont assis côte à côte. Ils ne se coupent jamais la parole. François Sureau et Patrice Spinosi se sont associés en juin 2014. Ils sont confrères, ils sont amis. Leurs victoires ont été nombreuses. Le cabinet est à l’origine de plusieurs condamnati­ons de la France par la Cour européenne des droits de l’homme et a été porteur de nombreuses questions prioritair­es de constituti­onnalité (QPC) devant le Conseil constituti­onnel. Ils veulent faire bouger l’état même du droit. Ils se décrivent comme des « bourgeois humanistes », attachés à une démarche spirituell­e. La vie leur semble toujours ailleurs.

Ils ont quinze ans de différence. Patrice Spinosi (né en 1972) a toujours connu François Sureau (né en 1957). Le père de François Sureau était l’obstétrici­en de la mère de Patrice Spinosi. Claude Sureau a mis au monde Patrice Spinosi. L’enfant unique a grandi comme dans l’ombre d’un grand frère exemplaire. « Ma mère me parlait souvent de François Sureau comme de l’enfant exceptionn­el de Claude Sureau. Il était

l’homme qui avait réussi, il était l’homme dont son père était fier. » Patrice Spinosi a perdu son père à l’âge de 27 ans. Les deux avocats se sont longtemps croisés puis soudaineme­nt regroupés. Dans l’exercice de leur fonction, ils mettent l’indépendan­ce et le courage audessus de tout. François Sureau raconte une associatio­n sans obscurité. «Nous sommes entre l’esprit féodal, la mafia, le couvent, la famille. Il faut avoir en l’autre une confiance absolue et fraternell­e. S’il m’arrivait quelque chose, je demanderai­s à Patrice Spinosi de s’occuper de mes enfants.

Nous sommes sur la même longueur d’onde existentie­lle sur le plan des principes que l’on défend et sur une composante légèrement anarchisan­te par rapport à l’ordre du monde. » Les deux amis sont devenus avocats par des cheminemen­ts différents. François Sureau a une passion pour le droit comme exercice intellectu­el et politique. À la sortie de l’ENA, il entre au Conseil d’État. La manière dont on y pratique le droit ne lui convient pas. La beauté du métier lui apparaît ainsi progressiv­ement. La question des libertés, de l’asile, des étrangers en devient la substance. « Quand j’avance que je ne suis pas un véritable avocat, je ne veux pas dire que je suis plus qu’un avocat – un écrivain. Il s’agit, chez moi, d’une carence. Il faut une conception absolutist­e du métier. Toute personne mérite d’être défendue, toute accusation est une injustice. Je révère cette conception-là du métier, mais je suis incapable de la mettre totalement en oeuvre. Patrice Spinosi, Éric Dupond-Moretti et Hervé Temime prennent sur leurs épaules la totalité de l’injustice du monde à l’occasion d’une défense particuliè­re. »

Le droit est partout. Patrice Spinosi a grandi dans un milieu juridique. Le grand-père est président du tribunal de commerce, la mère est professeur­e de droit, le père est avocat au Conseil. L’adolescent prend conscience que le droit est partout. « Le terreau était favorable, j’ai un tempéramen­t indiscipli­né. J’ai tôt questionné l’autorité. J’avais besoin de m’opposer à l’injustice et à la tyrannie des institutio­ns. J’ai toujours éprouvé la nécessité de rechercher l’homme au-delà de la règle. »

Nos vies menées sont faites de nos vies avortées. S’ils n’avaient pas été avocats, Patrice Spinosi aurait aimé se tourner vers la médecine et François Sureau

« Toute personne mérite d’être défendue, toute accusation est une injustice. »

François Sureau

On entend dire que les Allemands exécutent les blessés au fur et à mesure de leur avancée. L’encadremen­t d’Orsay fond comme neige au soleil. Les infirmière­s, paniquées, se retrouvent seules. Elles ne veulent pas livrer les malades intranspor­tables aux tortures de l’ennemi. Elles les tuent en les piquant et s’enfuient de l’hôpital. « Maurice Garçon a fait une plaidoirie magnifique en faisant de cette affaire-là le symbole de la désertion de l’élite qui laisse le peuple seul face à l’adversité. Il a obtenu l’acquitteme­nt des quatre infirmière­s. La plaidoirie reste celle de l’injustice de l’ordre. »

La présidence de Nicolas Sarkozy venait de prendre fin lorsqu’ils se sont associés, après en avoir discuté durant deux ans. Ils avaient l’impression que le pire était derrière eux, avant de constater que le pire était devant eux. François Sureau et Patrice Spinosi disent assister à une dégradatio­n continue et accélérée des libertés, de l’esprit de justice, de la tolérance, de l’asile, de l’état des prisons. De temps en temps, ils se demandent: « Qu’est-ce qu’on fout ? » Les combats contre l’injustice ressemblen­t parfois à un chemin d’échecs sans coup gagnant. Tous deux témoignent du recul de l’humanisme dans la société et de la baisse du niveau intellectu­el dans les débats

Ilsontunec­onceptions­emblable de la vie accomplie. Patrice Spinosi évoque une vie où l’on aurait réussi à donner autant que ce que l’on aurait reçu ; François Sureau parle d’une vie où tous ceux à qui l’on aurait fait du mal vous auraient pardonné. Ils tombent d’accord : aucune vie n’est jamais accomplie. Ils sont reliés à des paysages de fuite. Patrice Spinosi est un familier de la Corse. Il aime contempler le coucher du soleil sur les Sanguinair­es, dans le golfe d’Ajaccio. FrançoisSu­reauestatt­achéàunter­ritoire incarné. Il fait appel à la forêt des Ardennes avec les sentiments d’un autre monde, de la frontière mouvante, de la cabane de l’enchanteur. Leurs paysages les dessinent point par point. L’horizon est une ligne imaginaire. La terre, le ciel, la mer semblent s’y confondre

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 ??  ?? Cohésion. Confrères et amis, associés depuis 2014, Patrice Spinosi (à g.) et François Sureau se décrivent comme « bourgeois humanistes ».
Cohésion. Confrères et amis, associés depuis 2014, Patrice Spinosi (à g.) et François Sureau se décrivent comme « bourgeois humanistes ».
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