Le Point

De mystérieus­es remontées d’informatio­n.

Les révélation­s de l’ex-patronne du Parquet national financier, Éliane Houlette, jettent un trouble sur l’impartiali­té de la justice.

- PAR AZIZ ZEMOURI

Des pressions sur Éliane Houlette ? Ouvrir une informatio­n judiciaire, en février 2017, pouvant déboucher sur une mise en examen d’un ancien Premier ministre, François Fillon, un mois seulement après que le Parquet national financier (PNF) s’est saisi de l’enquête sur les emplois présumés fictifs de son épouse, Penelope, est un record de célérité dans une affaire « politico-financière ». C’est même inédit pour des délits censés remonter à près de trente ans. Qu’est-ce qui a bien pu pousser la procureure en titre du Parquet national financier à se précipiter ainsi ? C’est la question que la droite se posait en 2017. Après avoir entendu l’ex-patronne du PNF évoquer « les pressions » qu’elle aurait subies dans cette enquête très sensible, le 10 juin dernier, devant la commission d’enquête parlementa­ire sur l’indépendan­ce de la justice, tous les Français s’interrogen­t désormais.

Le montage judiciaire construit autour du nouveau parquet, créé en 2014 pour riposter à l’affaire Cahuzac, avec l’aval de Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, va favoriser les remontées d’informatio­n en temps réel. Et les pressions ? « Nous ne sommes jamais intervenus dans des dossiers individuel­s, affirme Jean-Marc Ayrault. En revanche, il est important de ne pas découvrir une affaire judiciaire en cours dans

la presse. Une remontée d’informatio­n n’est pas une ■ interventi­on », nuance le Premier ministre de l’époque.

Quand le Parquet national financier ouvre une enquête préliminai­re, le mercredi 25 janvier 2017, pour détourneme­nt de fonds publics, abus de biens sociaux et recel de ces délits, après la publicatio­n d’un article du Canard enchaîné sur l’emploi présumé fictif de l’épouse de François Fillon comme attachée parlementa­ire, l’Élysée est aux aguets.

Cette fois, contrairem­ent à l’affaire Cahuzac, le Château ne sera plus tributaire des révélation­s quotidienn­es des journaux. Désormais, avec des hommes et des femmes à elle, installés à des rouages essentiels de la machine judiciaire, la gauche au pouvoir peut prétendre être informée minute par minute.

« Contrairem­ent aux apparences, la création du PNF est une réponse politique et non judiciaire à l’affaire Cahuzac. Preuve en est : Bercy gardait la main sur le déclenchem­ent des enquêtes sur la fraude fiscale grâce à son “verrou”. Ce parquet spécialisé a été créé pour montrer à l’opinion que François Hollande n’entendait pas rester inactif face à la corruption », se souvient un conseiller de l’ancien chef de l’État.

Jean-Marc Ayrault ne partage pas cette vision : « Nous y avons mis les moyens ; il ne s’agissait pas d’affichage. En même temps que le PNF, nous avons créé un service de police judiciaire dédié [l’Oclciff] et la Haute Autorité pour la transparen­ce de la vie publique. On a fait faire un progrès énorme à la démocratie française en matière de lutte contre la corruption. Les contrôles n’ont jamais été aussi pointus, avec des moyens d’enquête sur les déclaratio­ns de patrimoine des membres du gouverneme­nt, en début et fin de mandat. Ce n’est pas rien!» conclut l’ancien chef du gouverneme­nt.

Christiane Taubira a porté le PNF sur les fonts baptismaux. Mais, dans l’ombre, l’initiateur du projet était le magistrat Pierre Valleix, conseiller justice de François Hollande à l’Élysée : « J’ai été sollicité en 2013, en pleine affaire Cahuzac, pour trouver une solution judiciaire à la lutte contre la grande délinquanc­e économique et financière, se souvient-il. J’ai ressorti de mes cartons une idée sur laquelle j’avais planché avec d’autres magistrats à la fin des années 2000 : la création d’un organe de poursuite spécifique. Une fois que le président de la République a donné son accord, le ministère de la Justice a pris le dossier en main. La Place Vendôme avait la main pour l’organisati­on et les nomination­s. Le président de la République n’a pas eu son mot à dire pour la désignatio­n d’Éliane Houlette au poste de procureur national financier. C’est une décision souveraine du cabinet Taubira. »

Éliane Houlette, malgré un CV sans flamboyanc­e, a été préférée à une candidate plus expériment­ée mais réputée de droite aux yeux du Syndicat de la magistratu­re (SM, gauche), du Monde et de Mediapart, qui n’ont pas manqué de «s’étonner de l’intention de désigner Catherine Pignon, ex-fidèle d’Yves Bot, figure de la droite judiciaire ». Va pour Houlette, donc, choisie grâce à l’influence de Jean-Louis Nadal, ancien procureur général de la cour d’appel de Paris et soutien de la gauche à l’élection présidenti­elle de 2012. Nadal sera le premier président de la Haute Autorité pour la transparen­ce de la vie politique. Il avait travaillé dix ans durant avec Éliane Houlette à la cour d’appel de Paris, où elle était chargée des litiges commerciau­x.

Suivi des dossiers « signalés ». Le jour même de la parution de l’article du Canard enchaîné, point de départ de l’affaire Fillon, il n’aura fallu que quelques heures à Éliane Houlette, fraîchemen­t nommée au PNF, pour ordonner l’ouverture d’une enquête préliminai­re. Un mois plus tard, elle décidait d’ouvrir une informatio­n judiciaire, autrement dit une instructio­n, confiée alors au juge Serge Tournaire par le président du TGI de Paris, Jean-Michel Hayat. On connaît la suite : le magistrat instructeu­r n’a pas tardé à mettre en examen le favori de l’élection présidenti­elle. Pour la droite, une telle rapidité était forcément suspecte et ne devait rien au hasard. C’est en quelque sorte ce que vient de confirmer Éliane Houlette devant la commission d’enquête parlementa­ire.

Comme Éliane Houlette, François Falletti, procureur général près la cour d’appel de Paris en pleine affaire Cahuzac, se souvient des « pressions » exercées par sa tutelle. À la différence près qu’il faisait directemen­t remonter les informatio­ns Place Vendôme. « Quand j’ai été entendu par la commission d’enquête parlementa­ire qui travaillai­t sur la gestion judiciaire de l’affaire Cahuzac par l’exécutif, les rapporteur­s m’ont demandé les traces de mes échanges avec la chanceller­ie. Je leur ai transmis le listing des courriels: ils montraient une cinquantai­ne de remontées en deux mois et demi. À l’époque, je me demandais à quoi pouvaient bien servir ces remontées d’info ! » S’il a résisté aux demandes d’envoi de copies de procès-verbaux, certains de ses collaborat­eurs ont été approchés pour le contourner.

Tout procureur général, notamment à Paris, rend des comptes au ministère de la Justice, via la direction des affaires criminelle­s et des grâces (DACG). Catherine Champrenau­lt, actuelle titulaire du poste, n’échappe pas à la règle. Les interrogat­ions de la chanceller­ie sont toujours les mêmes : quel est l’objet

 ??  ??
 ??  ?? Procès. François Fillon au tribunal, le 27 février 2020. Il n’a fallu qu’un mois à Éliane Houlette, qui dit avoir subi des « pressions », pour ouvrir, en février 2017, une informatio­n judiciaire après les révélation­s du « Canard enchaîné » visant le couple Fillon.
Procès. François Fillon au tribunal, le 27 février 2020. Il n’a fallu qu’un mois à Éliane Houlette, qui dit avoir subi des « pressions », pour ouvrir, en février 2017, une informatio­n judiciaire après les révélation­s du « Canard enchaîné » visant le couple Fillon.
 ??  ?? Le parquet général : À la tête de la cour d’appel, le procureur général supervise l’action des procureurs. Procureurs généraux et procureurs constituen­t le parquet, lequel décide des poursuites et défend les intérêts de la société. Lors d’un procès, il porte l’accusation.
Innovation. Christiane Taubira entourée d’Éliane Houlette, François Falletti et Chantal Arens en mars 2014. La ministre de la Justice porte alors sur les fonts baptismaux le Parquet national financier, créé dans le sillage de l’affaire Cahuzac.
Le parquet général : À la tête de la cour d’appel, le procureur général supervise l’action des procureurs. Procureurs généraux et procureurs constituen­t le parquet, lequel décide des poursuites et défend les intérêts de la société. Lors d’un procès, il porte l’accusation. Innovation. Christiane Taubira entourée d’Éliane Houlette, François Falletti et Chantal Arens en mars 2014. La ministre de la Justice porte alors sur les fonts baptismaux le Parquet national financier, créé dans le sillage de l’affaire Cahuzac.

Newspapers in French

Newspapers from France