Au Brésil, « petite grippe », grosse crise
« La direction des affaires criminelles et des grâces communique avec le secrétaire général de l’Élysée hors de tout cadre institutionnel. » Un ancien chef de bureau
de l’audition ? Quels sont les motifs ? Quelles ■ sont les qualifications ? S’agit-il d’une audition libre, d’une garde à vue ?
À l’époque où Éliane Houlette dit subir des « pressions » dans l’affaire Fillon de la part de « sa » procureure générale, celle-ci est elle-même sous tension. Elle rend compte au magistrat Robert Gelli, qui, depuis septembre 2014, est à la tête de la direction des affaires criminelles et des grâces, Place Vendôme. Ancien du cabinet Jospin à Matignon, il est une figure de la gauche judiciaire au même titre que Jean-Michel Hayat ou encore Jean-Louis Nadal. Gelli* fait partie de la « banjo », « la bande à Jospin », comme Jean-Pierre Jouyet, avec qui il était à Matignon en 1997. Quand l’affaire Fillon démarre, Jouyet, ami intime depuis trente ans de François Hollande, est secrétaire général de l’Élysée. Il peut donc compter sur Gelli pour l’informer en temps réel des avancées de l’enquête. La DACG est le service le plus stratégique du ministère. À ce poste, Robert Gelli a la main sur la rédaction de la politique pénale (il rédige lois et circulaires), mais il est surtout le référent des procureurs et des procureurs généraux, grâce auxquels il assure le suivi des dossiers « signalés » – comprenez sensibles. C’est vers lui que tout transite : les faits divers importants, le terrorisme, les affaires politico-financières… Un siège éminemment politique, selon d’anciens DACG : « Le rôle du directeur des affaires criminelles et des grâces est d’informer l’Élysée, même si ce n’est pas institutionnalisé et qu’il dépend officiellement de la garde des Sceaux. Mais sous Taubira, qui était un ministre faible, les affaires sensibles ne passaient pas par elle. De toute façon, depuis Chirac, tout ce qui est “touchy” est traité au Château et échappe au ministre », décrypte l’un d’eux.
La nomination de Robert Gelli avait été « poussée » par l’Élysée. Ce méridional de 60 a fait son service militaire avec François Hollande, ça crée forcément des liens. Gelli a noué aussi une amitié solide avec Jean-Pierre Jouyet à la fin des années 1990. Tous deux étaient membres du cabinet de Lionel Jospin à Matignon, où Jouyet officiait comme directeur adjoint de cabinet et Gelli comme conseiller technique sur les questions de justice, jusqu’en 2002. Notoirement proche du Syndicat de la magistrature, il s’est forgé une réputation de professionnel compétent. Ses homologues chefs de parquet l’avaient un temps choisi pour défendre leurs intérêts à la tête de la Conférence nationale des procureurs. À ce poste, Jouyet souhaitait un interlocuteur de confiance. « Le DACG communique avec le secrétaire général de l’Élysée hors de tout cadre institutionnel. Du coup, c’est intuitu personae. C’est toujours un magistrat qui a la confiance de l’exécutif qui est nommé à ce poste. C’est une histoire de personne, de capacité à se parler librement, à s’appeler à toute heure », confirme un ancien chef de bureau de la prestigieuse administration centrale.
Aujourd’hui directeur des services judiciaires de la principauté de Monaco, Robert Gelli réserve ses
réponses aux institutions, parlementaires ou judiciaires. Il nie toute tentative de pression sur la procureure générale. Droit dans ses bottes, il a respecté les prérogatives d’un directeur des affaires criminelles et des grâces, laisse-t-il entendre au Point. Rien de plus ?
Interrogée le 6 février 2020 par la commission d’enquête parlementaire qui a auditionné Éliane Houlette ces derniers jours sur les obstacles à l’indépendance judiciaire, Catherine Champrenault a confirmé le mécanisme des remontées d’information vers le tout-puissant DACG. Tout en précisant : « Nous ne faisons jamais remonter quoi que ce soit qui pourrait nuire à la manifestation de la vérité. » La consultation des fiches d’action publique permettrait de savoir si la procureure générale dit vrai. Rédigé par la DACG, sur la base des informations livrées par la procureure générale, ce document est transmis au ministre.
Secret professionnel. Pour en avoir fait passer une à Thierry Solère, sans que celui-ci n’en fasse la demande, Jean-Jacques Urvoas, ministre de la Justice en fonction lorsque éclate l’affaire Fillon, avait démontré le peu de cas qu’il faisait du secret professionnel. De même, François Fillon n’a pas toujours endossé le costume de la victime supposée d’une machination judiciaire. En témoignent les retombées de son déjeuner avec Jean-Pierre Jouyet, le 24 juin 2014, révélé par des journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Selon eux, Fillon avait réclamé l’accélération des procédures judiciaires contre Nicolas Sarkozy pour éviter tout retour de l’ex-chef de l’État au pouvoir, lors de la présidentielle de 2017. L’ex-Premier ministre a intenté un procès en diffamation, qu’il a perdu. En outre, le lendemain de ces agapes, le parquet de Paris ouvrait une enquête sur les pénalités infligées à Nicolas Sarkozy mais payées par l’UMP après l’invalidation de ses comptes de campagne en 2012.
Lors de son audition, Catherine Champrenault n’a pas démenti ses interventions auprès de la procureure Houlette – dans un cadre légal, insiste-t-elle –, sans cibler une enquête particulière. « Le parquet général a un pouvoir d’instruction dans les affaires individuelles lorsqu’il estime que l’une d’entre elles n’est pas correctement traitée. Mais c’est pour vaincre une inertie, qui peut exister de la part d’un procureur, que le procureur général peut être amené à donner des instructions. Ce que je vise, c’est l’efficacité de la justice. Ne sont alors à l’oeuvre ni des considérations d’ordre public, ni des considérations politiques. »
La procureure générale sera de nouveau entendue début juillet. Nul doute qu’après la polémique suscitée par les commentaires des propos d’Éliane Houlette, des parlementaires auront à coeur de crever l’abcès des mystères procéduraux de l’affaire Fillon. Cette audition interviendra quelques jours à peine après le délibéré du procès intenté à François et Penelope Fillon, attendu le 29 juin. En cas de peine d’inéligibilité prononcée, on prête à l’ancien Premier ministre déchu la volonté d’ouvrir un nouveau front judiciaire
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L’Élysée off, de Stéphanie Marteau et Aziz Zemouri (Fayard, 2016).