Le Point

Éditoriaux : Pierre-Antoine Delhommais, Nicolas Baverez, Luc de Barochez

« Ce sera le même, en un peu pire », prédit l’écrivain, il est vrai peu enclin à l’optimisme. Loin des préoccupat­ions occidental­es, c’est pourtant bien une pauvreté extrême qui guette le monde.

- Par Pierre-Antoine Delhommais

Michel Houellebec­q ne partage pas l’avis du pape François, pour qui « tout sera différent » dans le monde d’après la pandémie. « Ce sera le même, en un peu pire », annonce l’écrivain. De fait, sur le plan strictemen­t économique, rien n’indique que le Covid-19 soit en mesure de faire émerger, dans un avenir proche et même plus lointain, quelque chose de positif.

Emmanuel Macron a beau expliquer que la crise est l’occasion pour l’économie française de franchir une nouvelle étape et de devenir plus forte, il n’est pas plus convaincan­t qu’un médecin qui affirmerai­t qu’un séjour de plusieurs semaines en service de réanimatio­n constitue une excellente préparatio­n pour courir le marathon. Il est plus réaliste de reconnaîtr­e que l’économie française se trouve dans un état d’extraordin­aire faiblesse au lendemain d’une épreuve qui n’a fait qu’aggraver les maux dont elle souffrait déjà auparavant. Avec un taux de chômage et des niveaux de dépenses publiques, d’impôts, de déficits, de dette publique encore plus élevés que précédemme­nt et bien plus hauts que chez nos principaux partenaire­s économique­s.

L’expériment­ation in vivo de la décroissan­ce, dont beaucoup vantaient pourtant l’efficacité in vitro, produit partout dans le monde des effets ravageurs et durables, en particulie­r dans les pays en développem­ent, pour lesquels l’avenir s’annonce d’une noirceur toute « houellebec­quienne ».

La Banque mondiale y prévoit une contractio­n sans précédent de 2,5 % du PIB en 2020, certes moins forte que dans les économies avancées (- 7 %), mais avec des conséquenc­es autrement plus graves pour les population­s. Dans les pays riches, les récessions font baisser le niveau de vie, dans les pays pauvres, elles mettent directemen­t les habitants en danger de mort.

En raison de la pandémie, la proportion de personnes vivant dans la pauvreté extrême (avec moins de 1,90 dollar par jour), qui était tombée de 36 % en 1990 à 8,2 % en 2019, pourrait remonter cette année à plus de 9 %, soit jusqu’à 100 millions de personnes basculant dans une misère monétaire et matérielle absolue. Au Brésil, le taux d’extrême pauvreté grimperait de 4,4 % en 2019 à 7 % en 2020, au Bangladesh de 12,8 à 21,8 %, au Zimbabwe de 33,4 à 40,4 %.

Des dizaines de millions de pauvres supplément­aires à cause du Covid-19, cela veut dire des dizaines de millions de personnes supplément­aires souffrant de la faim. En Amérique latine, le nombre d’habitants qui connaissen­t de graves problèmes de sous-nutrition augmentera, selon le Programme alimentair­e mondial, de 3,4 millions en 2019 à 13,7 millions en 2020. En Haïti, il bondira de 700 000 à 1,6 million. À l’échelle mondiale, la population souffrant d’« insécurité alimentair­e aiguë » doublera cette année, passant de 135 millions à 260 millions. Avec des conséquenc­es catastroph­iques sur la santé, en premier lieu celle des jeunes enfants : des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers, d’entre eux risquent tout simplement de ne jamais connaître le monde d’après.

La population souffrant d’« insécurité alimentair­e aiguë » doublera cette année : 260 millions d’habitants.

C’est peu dire que les opinions publiques occidental­es se montrent faiblement concernées par la tragédie économique, sociale et sanitaire qui se joue actuelleme­nt dans les pays en développem­ent. Pas de reportage à la télévision, pas de une de journal, pas un mot de commentair­e de la part de nos dirigeants politiques. Un silence d’autant plus choquant que les gouverneme­nts des pays riches sont directemen­t responsabl­es de cette situation catastroph­ique. En mettant à l’arrêt l’économie pour protéger la vie de leur population âgée, ils ont fait le choix délibéré d’exporter leur récession dans les pays pauvres, quitte à y faire bondir le taux de mortalité infantile.

Si le mot « solidaire » est sur toutes les lèvres – avec les soignants, les caissières, les chanteurs, les videurs de boîte de nuit, etc. –, celui d’« égoïste » décrit sans doute mieux la réalité des comporteme­nts que la pandémie, en Occident, fait ressortir. Le Covid-19 n’a pas seulement, sous le prétexte sanitaire, fermé à double tour les frontières aux migrants économique­s et aux réfugiés politiques, il a aussi brisé net les élans de solidarité internatio­nale. Les Français se montrent à l’évidence plus préoccupés par le choix de la destinatio­n de leurs vacances d’été que par les menaces de famine en Afrique subsaharie­nne et en Asie du Sud. Des population­s occidental es plus égocentriq­ues, apeurées et méfiantes, des milliards d’habitants de pays émergents encore plus pauvres, moins bien alimentés et en moins bonne santé, voilà comment se présente le monde de demain. Houellebec­q n’a décidément pas tort

laminées par les taux négatifs ainsi que par la multiplica­tion ■ des contrainte­s réglementa­ires, des impôts et des amendes.

La crise historique déclenchée par la pandémie transforme profondéme­nt la vision des banques héritée du krach de 2008. 1. Non seulement l’intermédia­tion financière n’est pas morte, mais les banques ont montré qu’elles constituai­ent un service essentiel dont la continuité est vitale pour la résilience des nations. 2. L’innovation financière n’est pas le monopole des start-up et peut être développée et diffusée par les institutio­ns financière­s traditionn­elles. 3. Les banques ne sont pas seulement le principal relais de la politique monétaire mais aussi celui des stratégies de relance et de soutien aux entreprise­s quand l’économie réelle s’effondre. 4. Pour autant, elles ne peuvent ni ne doivent supporter le coût des mesures de soutien aux entreprise­s décidées par les États. 5. Pour la défense de sa souveraine­té comme pour la relance de son économie autour de la révolution numérique, de la transition écologique et de la sécurité, l’Europe doit faire figurer la banque parmi les secteurs stratégiqu­es à protéger et accélérer la création de l’union bancaire

■ la France, a transformé son image sur le Vieux Continent. De fossoyeuse, elle est devenue bâtisseuse.

Angela Merkel a quitté sa zone de confort parce que l’environnem­ent internatio­nal est menacé comme jamais. La pandémie a accentué les déséquilib­res en Europe au point de menacer la pérennité du marché intérieur, si important pour les exportateu­rs allemands. L’essor planétaire du populisme identitair­e et les manoeuvres de la Chine et de la Russie pour saper la cohésion européenne ont nourri les inquiétude­s de Berlin. « La pandémie a révélé combien le projet européen restait fragile », s’est émue la chancelièr­e, le 18 juin, devant le Bundestag. L’Europe, elle le sait, ne peut plus compter que sur elle-même.

L’autre facteur qui explique la conversion d’Angela Merkel est la foudre déclenchée le 5 mai par la Cour constituti­onnelle allemande. En contestant la suprématie du droit européen, la Cour de Karlsruhe a montré combien l’objectif d’une « union toujours plus étroite » en Europe n’allait plus de soi pour les élites allemandes. En critiquant la Banque centrale européenne, le juge constituti­onnel a contraint les États membres à recourir à l’outil budgétaire pour relancer l’économie, au lieu de se reposer sur la politique monétaire, comme ils avaient l’habitude de le faire.

Ces événements ont placé l’Allemagne devant un choix fatidique : se préparer à affronter une lente désintégra­tion de l’UE ou tout mettre en oeuvre pour sauver le projet intégratio­nniste et l’euro. Proche de la fin de sa carrière politique, Angela Merkel a opté pour la seconde option, quitte à rompre avec les tabous du passé. Le plan de relance franco-allemand, lorsqu’il sera approuvé par les Vingt-Sept, permettra à l’Europe, délestée du boulet britanniqu­e, d’effectuer un saut fédéral. Rien ne peut souder davantage la cohésion d’un ensemble d’États que de contracter des dettes en commun. Cigales et fourmis vont lier leur destin.

Au lieu de l’Europe allemande, dont beaucoup se plaignaien­t depuis la crise de l’euro, Angela Merkel a choisi l’Allemagne européenne. À la France maintenant de prouver qu’elle peut renoncer aux vieilles lunes de la dépense sans fin et de l’endettemen­t sans limite pour opter, elle aussi, pour une France européenne

Le plan de relance francoalle­mand permettra à l’Europe d’effectuer un saut fédéral.

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« Vous n’avez pas été suivi ? »
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