Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

Rejouer avec Molière alors que la rumeur publique suggère qu’il a épousé sa propre fille ? Accepter un rôle dans une pièce de Shakespear­e quand il a commerce charnel, ainsi que le montrent ses Sonnets, avec de jeunes garçons ? En 2020, Molière ne serait plus joué, faute d’acteurs – et aucun théâtre n’accueiller­ait Shakespear­e, pas même le sien. La morale, dont on ne dit plus qu’elle est bourgeoise alors qu’elle n’a jamais été prolétarie­nne, tiendrait ces deux zozos à distance du public et notamment du public ado. Le complot abominable dont Woody Allen a été victime depuis les années 1990 et dont il dénoue les fils avec patience dans son autobiogra­phie – Soit dit en passant (Stock, 24,50 €) – oblige cet individu de génie sans emploi à rester toute la journée dans son appartemen­t new-yorkais pour regarder des films en DVD et jouer de la clarinette tandis que son épouse Soon-Yi, d’origine coréenne, s’occupe de tout le reste. L’artiste – l’un des plus grands que nous aient donnés les États-Unis – a, il est vrai, 84 ans. Mais ses derniers films sont encore plus beaux que les premiers alors que les derniers Zola et les ultimes Balzac sont d’affreux rossignols (Lourdes et L’Envers de l’histoire contempora­ine), Zola étant pourtant mort à 60 ans et Balzac à 50. L’idée qu’il n’y aura plus de nouvelles oeuvres cinématogr­aphiques signées Woody Allen devrait épouvanter la planète.

De son vivant, le scandale tient la plus grande place dans la vie d’un artiste. Après sa mort, c’est l’inverse : l’oeuvre prend le dessus. Faisons comme si Woody Allen était mort depuis une centaine d’années et suivons sa vie telle qu’il la déroule dans ce livre superbe, tout en grâce et en intelligen­ce, haletant comme un polar. Acheté à la librairie Masséna de Nice, alors qu’il était en rupture de stock à La Sorbonne, rue de l’Hôtel-des-Postes. Au dos de l’ouvrage, une photo de Woody prise par son ex et amie l’actrice Diane Keaton. Petit garçon octogénair­e perdu dans un fauteuil trop grand pour lui, avec sa maigreur insolite et son visage boxé par le temps. Comme la plupart des surdoués, Woody était un mauvais élève, sauf aux dés et au poker. Cette icône des cinéphiles intellectu­els était un cancre qui s’est mis à lire pour impression­ner les lycéennes de Brooklyn et écrire des gags radiophoni­ques et télévisuel­s dans le but de bien gagner sa vie. Il a eu son bac mais rien d’autre.

Son école de cinéma ? Les cinémas. Filmer, pour lui, consiste à filmer ce qu’il a écrit. Il prend les meilleurs technicien­s et les plus grands acteurs, puis il les laisse travailler. Le problème, en 2020, c’est que ceux-ci ne veulent plus travailler avec Woody Allen, craignant d’être ensuite boycottés par le milieu hollywoodi­en qui, après avoir été le plus dévoyé de la société américaine, s’applique à en devenir le plus vertueux. La cérémonie des Oscars ressemble de plus en plus à un gala de charité organisé par les mormons ou les évangélist­es. Il n’y est jamais allé, Woody, aux Oscars. De toute façon, maintenant, on ne lui envoie plus d’invitation

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Woody Allen.

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