L’éditorial d’Étienne Gernelle
Quand tout tremblote, c’est souvent vers Paul Valéry que l’on se tourne. « Que serions-nous sans le secours de
ce qui n’existe pas ? » demandait-il. Illustration avec le nouveau maire écologiste de Bordeaux, Pierre Hurmic, qui, déjà engagé dans une croisade délirante contre le compteur électrique Linky, s’est distingué, dès sa victoire, par une déclaration plutôt complotiste à propos de la 5G et de ses supposés dangers pour la santé (qui ne sont en rien étayés par la science d’aujourd’hui). L’imagination au pouvoir, donc. Ce n’est pas nouveau, mais quand même. Au même moment, le second réacteur de Fessenheim était débranché, victime d’un mensonge d’un autre ordre puisque cet outil de production d’électricité à faible empreinte carbone – et particulièrement bien noté par l’Autorité de sûreté nucléaire – sera remplacé par des centrales qui, elles, émettent du CO2. Bravo. Si l’on était méchant, on apposerait sur le dos des activistes anti-Fessenheim l’étiquette infamante d’« écocide » qu’ils souhaitent voir entrer dans le Code pénal… L’écologie, cause du siècle, est gravement polluée par des débilités en tout genre, comme le montre l’enquête de Géraldine Woessner (lire p. 28). Et la politique ? La victoire dans plusieurs grandes villes françaises d’Europe Écologie-Les Verts est, quoi qu’il en soit, un tournant. Un mini-mai 1981. Avec, comme l’accession de Mitterrand à la présidence, son cortège de bonnes et de mauvaises nouvelles. La bonne, en 1981, était le bol d’air apporté par l’abolition de la peine de mort ou les lois de décentralisation. La mauvaise, c’était par exemple l’incroyable mensonge démographique de la retraite à 60 ans, que l’on paie encore aujourd’hui. Les municipales de 2020, à leur échelle, sont un événement comparable. Pour le meilleur, car l’écologie est passée des marges au centre du débat, et c’est heureux. Pour le pire, parce que la foire aux carabistouilles bat son plein. Oh, il y a de tout dans cette grande soupe écologiste : des libéraux-progressistes aux trotsko-décroissants en passant par quelques comploto-collapsologues, l’éventail est large. Faut-il s’inquiéter ? Du calme. Dans son éditorial suivant le 10 mai 1981, intitulé « Un autre vent se lève », notre fondateur Claude Imbert pointait les aberrations du programme de François Mitterrand, sans oublier ses avancées qui correspondaient à de nouvelles aspirations. Mais Imbert, tout à son cher « doute méthodique », attendait de voir. Le changement, notait-il avec sagesse, « mot magique, plein et creux », s’adapte en chemin, le pire n’est jamais sûr.
Quant à Emmanuel Macron, il devra utiliser tous ses talents d’acrobate dans ce nouveau bouillon politique. Derrière une écologie élevée au rang de priorité par tous – à juste titre – se cachent des projets de civilisation antagonistes : ambition contre immobilisme, mais aussi décroissance contre progrès, et autoritarisme contre liberté. Il va falloir parler de science avec calme et méthode dans une France qui semble vouloir en découdre. Parmi ceux qui ne se sont pas déplacés dimanche pour voter, combien jetteront des pierres sur la police, en affirmant qu’ils n’ont pas le choix puisqu’on ne les écoute pas ? Il faut dire que l’épisode des Gilets jaunes a laissé des traces. Plus encore que la taille des défilés, la violence a compté dans les rapports de force. Et les milliards lâchés – avec raison, probablement – par Macron ont redonné à l’affrontement physique une réputation d’efficacité.
Les Gilets jaunes, justement… Comme cela paraît loin! Au départ, une révolte d’automobilistes contre une mesure fiscale écologique. Comment arrive-t-on à un rondpoint si ce n’est en voiture ? Les grandes villes, lors de ces municipales, ont donc plébiscité des programmes à l’opposé de leurs revendications. Un vote sanction anti-Gilets jaunes, antipériphérie, anti-villes moyennes ? Deux France se font face, au moins. Et la pensée magique en pleine expansion n’aidera pas à les réconcilier. Stupéfiante époque… « Il venait de se passer tellement de choses bizarres qu’elle en arrivait à penser que fort peu de choses étaient vraiment impossibles », écrivait Lewis Carroll dans
Alice au pays des merveilles. Un pays qui fait de plus en plus penser à la France
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Les grandes villes, lors de ces municipales, ont plébiscité des programmes à l’opposé de leurs revendications. Un vote sanction anti-Gilets jaunes, antipériphérie ? Deux France se font face, au moins.