Le Point

Et Lyon fit sa révolution

L’ancienne capitale du tout-automobile sera désormais administré­e par les écologiste­s. Pour quoi faire ?

- PAR AUDREY EMERY ET CATHERINE LAGRANGE

«Jamais une ville de cette importance n’a été dirigée par un exécutif écologiste, ni en France, ni en Europe, ni dans le monde. Nous allons démontrer par l’exemple qu’on peut faire d’une grande ville comme Lyon une ville de transition écologique ! » La promesse de Grégory Doucet s’est donc réalisée. Voilà la capitale des soyeux, berceau des leaders de la chimie, promise à devenir la vitrine de l’écologie politique. Un projet qui s’étend aussi à la métropole, avec à sa tête désormais l’écologiste Bruno Bernard. Les Verts ont les coudées franches pour mettre en oeuvre leur programme. Mais quel programme ?

Beaucoup ont brandi pendant la campagne la menace du « péril vert », surtout depuis que les écologiste­s, pourtant arrivés seuls en tête au premier tour, ont fusionné au second avec le PS, le PC et le Gram, groupe politique soutenu par La France insoumise. Une alliance « pastèque » semblable à celle menée par le maire de Grenoble, Éric Piolle, qui a fait de sa ville un laboratoir­e très contesté. Portés depuis deux décennies par les grands projets du maire bâtisseur Gérard Collomb, plusieurs patrons, réunis dans le collectif Acteurs de Lyon, ont fait part de leur angoisse. « Il est urgent de signer les permis de construire pour la relance, je ne suis pas sûr que les écolos l’aient bien compris », s’interroge un promoteur, qui rappelle que seulement 6 000 logements sont construits pour accueillir chaque année 15 000 nouveaux habitants. Même le président du Medef local, Laurent Fiard, s’est inquiété « pour l’attractivi­té du territoire » en lisant les pages tourisme du programme de la nouvelle équipe, qui veut promouvoir la destinatio­n dans les territoire­s proches, « plutôt que de vanter les merveilles de Lyon à l’autre bout du monde ». De là à croire que la ville va se couper des grands Salons d’affaires, il n’y a qu’un pas que le sénateur LR François-Noël Buffet, candidat malheureux à la métropole, n’hésite pas à franchir : « Ils vont tuer une filière. »

Galvanisés par leur large victoire, les Verts lyonnais vont-ils vraiment jouer aux apprentis sorciers ? Limités par leur faible score au premier tour, les élus « rouges » n’auront que peu d’influence, même s’il faut noter que Nathalie Perrin-Gilbert, cofondatri­ce du Gram, sera nommée adjointe à la culture. « Ce qui peut peser en revanche, c’est le message que voudraient porter les écologiste­s lyonnais pour les futures élections régionales et la présidenti­elle, souligne Romain Meltz, politologu­e à Lyon-2. L’axe Grenoble-Lyon serait alors crucial. » D’autant que la ville d’Annecy vient aussi de virer au vert. « Or Éric Piolle est au centre de gravité du parti, car il est, comme les adhérents, compatible avec la gauche », analyse le spécialist­e de l’écologie politique Daniel Boy. Sans renier le bilan du maire de Grenoble, Grégory Doucet assure toutefois qu’il n’en fait pas un mentor. Il ne semble pas non plus envisager la suppressio­n des panneaux publicitai­res ni l’arrêt des grands chantiers, comme l’a fait l’édile de la cité iséroise. Bruno Bernard – également patron d’une entreprise de désamianta­ge – promet d’ailleurs de signer les permis de construire et de relancer la commande publique rapidement.

Diplômé de l’école de commerce de Rouen, ancien responsabl­e des opérations en Afrique de l’Ouest pour Handicap Internatio­nal, le nouveau maire de Lyon Grégory Doucet assure qu’il n’a pas pour ambition de « renverser la table ». Sa priorité pour lancer la ville sur les rails de la transition écologique ? « Créer une ville à hauteur d’enfants », en consacrant 230 millions d’euros à la rénovation thermique des écoles, à la végétalisa­tion des cours de récréation et aux repas 100 % bio et 50 % locaux dans les cantines. Côté sécurité, il promet d’augmenter les effectifs de la police municipale. Pour le grand soir vert on repassera, donc… L’édile compte aussi verdir massivemen­t la ville, en créant des forêts urbaines de 3 à 5 hectares, y compris dans le quartier d’affaires de la Part-Dieu, et un poumon vert de 80 hectares sur la colline de Fourvière.

Les Verts lyonnais, qui doivent surtout leur victoire aux pics de pollution, sont plus ambitieux quand ils annoncent « une métropole 100 % cyclable et marchable », avec la création d’un réseau express vélo de 450 kilomètres, l’élargissem­ent des trottoirs et la piétonnisa­tion des coeurs de ville et

« Que les chefs d’entreprise se rassurent, nous savons bien qu’ils créent de l’emploi et de la richesse sur notre territoire. » Audrey Hénocque, future première adjointe

d’arrondisse­ments. À la métropole, Bruno Bernard ■ a promis 3 milliards d’euros d’investisse­ments pour les transports en commun, soit trois fois plus qu’au cours du mandat qui s’achève. Autant dire que la part de la voiture, déjà en recul ces dernières années, devrait encore diminuer. De quoi inquiéter les commerçant­s du centre-ville, dont certains n’ont pas fait dans la dentelle pour exprimer leurs craintes. « Des connards », a balancé le restaurate­ur Christophe Marguin, candidat sur les listes LR, pour désigner les électeurs écologiste­s. « Hitler est arrivé au pouvoir démocratiq­uement, ce n’était pas une bonne idée, a même osé le bijoutier Jean-Louis Maier. Si les Verts sont élus, mon activité peut disparaîtr­e. »

« Un casting judicieux ». Dans sa déclaratio­n dimanche soir, le nouveau maire de Lyon a tenu à rassurer : « Aux acteurs du tissu économique dont la préoccupat­ion est grande après ces mois douloureux qui les ont malmenés, nous disons : “L’écologie n’est pas l’ennemie de l’économie, elle est sa meilleure alliée.” » Face à la crise économique et sociale, il annonce la création d’un fonds d’urgence de 4 millions d’euros pour la culture, et prône « une relance par l’économie verte » grâce à une grande campagne de rénovation énergétiqu­e des bâtiments publics, et des aides aux entreprise­s sous condition de critères écologique­s et sociaux. « L’écologie vise à promouvoir une économie responsabl­e et vertueuse », défend Grégory Doucet.

Pour gérer le budget, le nouveau maire de Lyon, qui prévoit d’investir 1 milliard d’euros sur le mandat, a choisi Audrey Hénocque comme première adjointe. Cette cadre territoria­le a travaillé avec le centriste Michel Mercier au départemen­t, puis avec le socialiste Jean-Jack Queyranne et même Laurent Wauquiez à la région. « C’est un casting judicieux qui place la machine administra­tive dans une certaine continuité et permet aux Verts d’avoir les 8 000 agents de la ville avec eux », observe Romain Meltz. La future numéro 2 de la ville annonce 230 millions d’euros annuels de commande publique, «autant que possible pour les entreprise­s locales», ainsi qu’une relocalisa­tion de l’industrie textile et de l’agricultur­e. « Que les chefs d’entreprise se rassurent, nous savons bien qu’ils créent de l’emploi et de la richesse sur notre territoire », confirme cette technicien­ne qui, plutôt que d’augmenter les impôts, veut recourir à l’emprunt via les « green bonds », à hauteur de 500 millions d’euros, et faire appel au mécénat des Lyonnais.

Dans les prochains mois, sa politique sera scrutée tant par l’état-major d’EELV que par leurs adversaire­s. Lesquels espèrent secrètemen­t confirmer la prophétie de Gérard Collomb, dimanche soir : « On revient dans six ans et hop, on reprend tout. » Ses opposants s’étaient dit la même chose en 2001… ■

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Vainqueur. Grégory Doucet, nouveau maire de la capitale des Gaules, le 28 juin.

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