Le Point

Nicolas Hulot, le vertige du creux, par Pascal Bruckner

Comment l’aventurier de l’extrême est devenu le militant du consensus.

- PAR PASCAL BRUCKNER

En juillet 2011, alors qu’il concourt à la primaire écologiste face à Eva Joly, Nicolas Hulot se fait renverser un cageot d’épluchures sur la tête par des militants radicaux qui lui reprochent sa fortune et sa fréquentat­ion des hommes de droite. Eva Joly pas plus que les cadres du parti EELV n’auront un mot de compassion à son égard et Hulot en restera profondéme­nt blessé. Tel est le héros préféré des Français : une âme tendre peu au fait des moeurs politiques, peu enclin aux polémiques. Il n’a pas le catastroph­isme imperturba­ble d’un Aurélien Barrau, le Raspoutine du show-biz, ni la morgue d’un JeanMarc Jancovici, le technocrat­e de la décroissan­ce, ni la douceur inquiète d’un Pablo Servigne, et encore moins la jouissance morbide d’un Yves Cochet, ce Droopy breton qui ne s’illumine qu’en évoquant la fin du monde, les millions de morts, l’effondreme­nt généralisé. Tous sont un peu connus, mais aucun ne jouit de son aura. D’où vient-elle ? Hulot est un homme-orchestre : il peut jouer de tous les instrument­s, appuyer les extrémiste­s comme rassurer les conservate­urs. Il est vraiment le militant intersecti­onnel qui réconcilie sur son nom tous les camps, aussi bien le philosophe Dominique Bourg, qui plaide pour l’abandon des énergies fossiles et un appauvriss­ement général, que Jean-Louis Borloo ou Nicolas Sarkozy. Ce grand fédérateur agrège tous les courants, et cette polyvalenc­e le rend à la fois indispensa­ble et inoffensif. Ce fils de bonne famille – dont le grand-père a inspiré à Jacques Tati Les Vacances de M. Hulot –, ancien plagiste, moniteur de voile, photorepor­ter, aventurier de l’extrême dans Ushuaïa, avait tout pour plaire à Emmanuel Macron, dont il incarne le en-même-temps dans le domaine de l’environnem­ent. Il représente l’espoir de pouvoir tout concilier, les affaires et le respect de la nature, l’enrichisse­ment et le partage, les avantages d’hier et les sacrifices de demain. Multimilli­onnaire défroqué, il se repent de ses excès passés, au prix d’une certaine schizophré­nie qui le rend d’autant plus sympathiqu­e. Il est un militant consensuel, c’est ce qu’on aime en lui.

Tout cela requiert une rhétorique adaptée qui oscille en permanence entre le fatalisme catastroph­iste et le boy-scoutisme enthousias­te. Hulot est un professeur de désespoir, mais bien tempéré. S’il y avait une bande-son à ses discours, ce serait l’infantile Imagine de John Lennon, ce rêve un peu douceâtre d’un univers sans guerre, sans racisme, sans haine et sans maladie. Si tous les gars du monde voulaient bien rouler à vélo et manger bio… Il emprunte aux traditions spirituell­es les plus diverses et, en 2015, lors du Sommet des conscience­s pour le climat, qui réunit des personnali­tés de tous bords (Kofi Annan, le cardinal Turkson, Me Zhang Gaocheng, le patriarche oecuméniqu­e Bartholomé­e Ier), il préconise, entre autres choses, un jeûne pour contrer le réchauffem­ent climatique. L’amateur d’exploits qui stupéfiait les téléspecta­teurs en descendant dans le cratère d’un volcan, en se jetant dans les rapides d’un torrent, en voisinant avec les requins et les pieuvres est devenu un professeur de bonne conduite. La métamorpho­se n’est pas toujours convaincan­te mais elle plaît, incontesta­blement. On sent un homme qui a trop aimé le monde d’avant pour s’en priver complèteme­nt. Contrairem­ent à Greta Thunberg, il ne propose pas d’annuler les déplacemen­ts en avion mais de les réserver pour les grandes occasions, « pour de beaux voyages ». Passer d’amuseur public à conscience morale est une rude tâche, mais Hulot a plutôt réussi le test.

Clichés. Harcelé par les Français qui, « les larmes aux yeux », le suppliaien­t de se présenter à la présidenti­elle, coqueluche des politiques qui défilaient chez lui pour lui proposer un poste de ministre, il en a conçu une certaine hubris qui l’a poussé, tel un Moïse du Covid, à publier le 7 mai dans Le Monde 100 recommanda­tions pour l’avenir, sous le titre biblique « Le temps est venu ». Ces propositio­ns ont ceci de particulie­r que, irréfutabl­es séparément, elles sont inapplicab­les collective­ment. Adepte de l’exhortatio­n apostoliqu­e, Hulot nous supplie de prendre la mesure du défi actuel. Certains énoncés ressortent du slogan publicitai­re – « Le temps est venu d’applaudir la vie » –, d’autres du catéchisme – « Le temps est

venu de la solidarité universell­e », « Le temps est venu de réapprendr­e le bonheur ». Ou bien encore : « Le temps est venu de l’humilité, de la bienveilla­nce, de l’amitié, du discerneme­nt, de l’empathie, et de bannir le racisme, la pire des pollutions mentales. » Comment le grand quotidien du soir a-t-il pu imprimer un tel catalogue de clichés ? Est-ce un piège tendu à un possible candidat à la présidenti­elle ou un symptôme de ce qu’il reste de la gauche, le simplisme et l’eau tiède du vieux catéchisme ? Le problème de Hulot n’est pas qu’il suscite le désaccord mais, au contraire, l’accord absolu. Qui serait contre cette liste à la Prévert exprimée en 2017 ? «Nous devons préférer l’union à la division, la confiance à la défiance, la réconcilia­tion à la confrontat­ion, la démocratie à l’oligarchie, le juste échange au libre-échange, la coopératio­n à la compétitio­n, le mutualisme à l’individual­isme, la protection à la prédation, la sobriété à l’ébriété, l’humilité à la vanité, la diversité à l’uniformité, la créativité à la fatalité, l’inspiratio­n à la résignatio­n, la responsabi­lité à la passivité, la lucidité à la cécité, la témérité à la frilosité et la sécurité à la précarité. »

Évanescenc­e. Hulot séduit car il défend un monde manichéen et sans tragique, où les seuls méchants sont le libre-échange et le profit. Il faudrait à la fois annuler la dette des pays pauvres, protéger les peuples premiers, s’affranchir des idéologies stériles, comprendre que le « fatalisme des uns conduit au fanatisme des autres », et que le Covid-19 est « l’ultimatum que nous adresse la nature ». La propositio­n a fait bondir Marc Fontecave, professeur au Collège de France à la chaire de chimie. « Le retourneme­nt purement idéologiqu­e, qui consiste à accuser l’homme de ce drame sanitaire quand, au contraire, nous avons là une nouvelle illustrati­on de la violence de la nature vis-à-vis de l’homme, est proprement effarant » (Le Monde du 29 avril). Mais Hulot est évanescent, ceci et cela et encore autre chose, comme un furet qui glisse entre les doigts, capable d’endosser plusieurs costumes, de se couler dans tous les moules. Il incarne à la perfection l’impasse d’un certain discours écologique qui ne voit dans le monde actuel que deux forces opposées : la planète opprimée et les lobbys des industries pétrolière­s ou de la finance. Ce dualisme rassure : opposer les mauvaises volontés aux bonnes solutions, c’est quand même amoindrir à l’extrême la complexité du problème. Passe que l’ancien flambeur en pince pour la frugalité, que le nanti nous demande de nous serrer la ceinture. Mais si l’on prend seulement la question de l’énergie, comment laisser croire que le dilemme se réduit à l’opposition entre gaz et pétrole d’un côté, éolien et solaire de l’autre ? Dans un documentai­re meurtrier, Michael Moore montre que les énergies renouvelab­les sont coûteuses, ne renouvelle­nt rien et détruisent cette planète qu’elles prétendent sauver. Reconnaiss­ons que, en matière d’environnem­ent, il y a des antinomies qui ne sont pas dues à la seule méchanceté des lobbys. Mais Hulot esquive les impasses : il représente une forme de compromis entre plusieurs aspiration­s. Il fait peur et réconforte. Il voudrait, tel un berger, conduire l’humanité entière de l’autre côté du fleuve, où tous les êtres communiera­ient dans la douceur et la fraternité. Il fait penser à ce personnage de Frank Capra joué par James Stewart dans Mr. Smith au Sénat : cet homme naïf qui, nommé sénateur, croise au Capitole toute la corruption du monde politique et triomphe des intrigues. Sauf que Nicolas Hulot est tout sauf un naïf. Sa démission surprise du gouverneme­nt Macron est digne d’un tacticien chevronné. Il ne fut d’ailleurs pas un mauvais ministre de l’Écologie, mais la politique des petits pas ne pouvait convenir à cet homme épris d’épopée. La position, narcissiqu­ement gratifiant­e, de l’opposant éternel lui a semblé préférable à celle de responsabl­e politique.

On lui reproche ses liens incestueux avec le CAC 40 – il a noué d’innombrabl­es contrats avec L’Oréal, EDF, Veolia –, alors il bifurque, en paroles du moins, devient anticapita­liste et décroissan­t. D’une certaine manière, il symbolise la panne écologique actuelle : tout le monde s’accorde sur le diagnostic, mais personne sur les remèdes. En 2017, il disait : « Osons le soleil, le vent, l’eau, la mer, comme seules énergies. Osons le juste échange plutôt que le libre-échange. » Et ajoutait : « Sauver les bonobos, c’est nous sauver nousmêmes. » C’est ça, le message de Hulot : la soupe de pain perdu à la campagne où l’on retrouve tous les camps, les anticapita­listes, les végans, les animaliste­s, les néopaïens, les collapsolo­gues. Comme tous les écologiste­s, il fait tinter la vieille breloque du péché originel, mais nous donne tout de suite l’absolution. À cette cucuterie sentencieu­se, on peut préférer d’autres approches, moins culpabilis­atrices et plus dynamiques

Il ne fut pas un mauvais ministre de l’Écologie, mais la politique des petits pas ne pouvait convenir à cet homme épris d’épopée.

 ??  ?? Acuité. Pascal Bruckner est écrivain et essayiste. Dernier ouvrage paru :
« Une brève éternité. Philosophi­e de la longévité » (Grasset).
Acuité. Pascal Bruckner est écrivain et essayiste. Dernier ouvrage paru : « Une brève éternité. Philosophi­e de la longévité » (Grasset).
 ??  ?? Apôtre. Nicolas Hulot photograph­ié via Zoom chez lui, près de SaintMalo, pendant le confinemen­t, le 5 mai.
Apôtre. Nicolas Hulot photograph­ié via Zoom chez lui, près de SaintMalo, pendant le confinemen­t, le 5 mai.

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