Le virus du plastique
Masques et gants se mêlent aux déchets qui envahissent de nouveau nos rues. But des chercheurs : les éliminer de manière durable.
Lors de la Journée mondiale des océans, lundi 8 juin, Aurore Negro Foucaud a retroussé ses manches pour nettoyer la plage Marquet, au Cap-d’Ail, sur la Côte d’Azur. Mauvaise surprise pour la secrétaire exécutive de l’association des Amis du musée océanographique de Monaco : aux traditionnels mégots, bouts de ferraille, capsules et bouteilles échoués sur le sable s’ajoutent désormais gants, masques et flacons de gel hydroalcoolique. « Et encore, je ramassais des détritus sur une plage censée être entretenue… » se désole-t-elle. En ville, des masques en polypropylène jonchent les caniveaux et quelques gants en vinyle mal jetés finissent au pied des poubelles.
Si le gouvernement a eu du mal à reconnaître le rôle décisif joué par les masques au début de la crise du Covid-19, ceux-ci se sont ensuite multipliés. En avril, l’État commandait 2 milliards de masques chirurgicaux et FFP2 à la Chine. L’urgence sanitaire et le confinement ont signé un retour en force des déchets polymères. Les emballages de biens commandés sur Internet s’accumulent, les bouteilles d’eau en plastique remplacent les carafes à la cantine et les tas de blouses, chasubles et charlottes s’amoncellent dans les hôpitaux. Pour l’instant, le monde d’après est bien celui du retour du plastique… Fin mars, la fédération professionnelle du secteur de l’emballage plastique Elipso notait déjà une hausse de 30 % de la production, surtout dans les secteurs alimentaire, de l’hygiène et des détergents. « Quand il se retrouve en situation d’urgence, l’homme a tendance à oublier le long terme, déplore Nathalie Gontard, cher
cheuse à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique). On se dit qu’il faut combattre le coronavirus, pas le plastique à usage unique, qui ne nous portera pas préjudice avant cent ans. Ce réflexe est humain, mais tout sauf salvateur. »
Un revirement dans les pratiques de consommation qui inquiète chercheurs et associations de lutte contre la pollution. « À la faveur du Covid-19, on voit naître une offensive de la part de certains industriels pour remettre en question toute une série d’avancées législatives et réglementaires en matière de lutte contre la pollution du plastique à usage unique, fustige Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, faisant notamment référence à la demande de moratoire du Medef sur l’application de la loi antigaspillage pour une économie circulaire. « Les lobbys tordent des études scientifiques pour démontrer que leur produit sauve des vies à l’hôpital et qu’il pourrait constituer aussi une barrière hors cadre médical, alors même que cela va à l’encontre de certaines recommandations de l’Anses et de l’OMS», poursuit la ministre, avouant recevoir des lettres d’industriels visant à la déstabiliser.
Lobbys. Aux États-Unis aussi les lobbys tentent de vanter les qualités hygiéniques du plastique. En cultivant l’idée selon laquelle les sacs réutilisables constituent des nids à virus, l’industrie a réussi à faire suspendre l’interdiction des sacs jetables dans plusieurs États. « L’idée reçue selon laquelle un objet sain est un objet jetable revient en force avec l’épidémie, s’inquiète Julie Sauvêtre, chargée de projets pour l’association Zero Waste France, et ce, même si aucune donnée scientifique ne prouve cette corrélation. »
L’Hexagone a pourtant connu quelques avancées en début d’année. Depuis le 1er janvier, certains produits comme la vaisselle jetable ou les cotons-tiges sont interdits sur le territoire et, d’ici six mois, ce sera le tour des pailles, touillettes et couverts. L’objectif : bannir les produits en plastique à usage unique d’ici à 2040. « Nous ne reviendrons pas sur une virgule de la loi antigaspillage pour une économie circulaire», martèle Brune Poirson.
Certains chercheurs préviennent contre une forme systématique de « plastic bashing ». « On redécouvre les vertus du plastique et les raisons pour lesquelles on en a autant produit depuis cinquante ans, constate Stéphane Bruzaud, chercheur à l’université de Bretagne-Sud et spécialiste des polymères. Cette matière est légère, adaptable et peu coûteuse, surtout en ce moment puisque le prix du pétrole est très bas ! » Luc Avérous, professeur à l’université de Strasbourg, expert en bioplastique, ajoute : « Les matières plastiques sont nécessaires dans le secteur hospitalier et peuvent, dans ces cas-là, difficilement être remplacées par d’autres matériaux. » Kako Naït Ali, docteure en chimie des matériaux, s’inquiète d’ailleurs pour la gestion d’une potentielle autre crise sanitaire : « En 2040, on ne devra plus utiliser d’emballage plastique jetable du tout. Mais si on a le même type de virus à l’avenir, comment fera-t-on sans plastique ? »
Dans cette perspective, les chercheurs du monde entier s’activent pour venir à bout de ce déchet polluant. Afin d’éviter de jeter au bout de quelques heures les masques chirurgicaux ou FFP2, un consortium de scientifiques (CNRS, CEA, Inserm, Anses), de médecins et d’industriels travaille sur la piste du recyclage de ces objets, pour trouver des solutions d’élimination de la charge virale des masques et les réutiliser. Autre voie prometteuse: le procédé du français Carbios, qui vient d’être publié dans la revue scientifique Nature. « Nous utilisons un enzyme, une sorte de ciseau moléculaire, qui coupe la liaison chimique servant à fabriquer le plastique et permet de le réutiliser à l’infini, explique Alain Marty, directeur scientifique de la société. Aujourd’hui, le procédé thermomécanique de recyclage demande en amont un tri drastique des déchets plastiques, alors que notre solution s’adresse à tous les plastiques en PET. » S’ils ne sont pas encore capables de recycler les matières contenues dans les masques et les gants, les scientifiques de Carbios développent des méthodes de recyclage pour traiter de nouveaux plastiques. D’autres experts se concentrent sur la recherche en bioplastique. « Certains des polymères présents dans les mousses, élastiques et soupapes de masques pourraient être remplacés par ces matières issues de la biomasse », se réjouit Luc Avérous.
Carburant. Mais attention à ces initiatives du moindre mal, qui induisent toujours l’utilisation de la matière plastique. « L’objectif reste de transformer les modes de consommation et de production, insiste Brune Poirson. Il vaut mieux supprimer que recycler. » Hors de question d’ailleurs pour la secrétaire d’État de porter des masques jetables, auxquels elle préfère les protections lavables, comme il était d’usage dans les hôpitaux français jusqu’aux années 1960. « Il faut maintenant oublier les solutions jetables qui étaient utiles les premières semaines dans l’urgence de la crise sanitaire », affirme Julie Sauvêtre. En attendant, les membres de l’équipage de Plastic Odyssey – qui, depuis Concarneau, ont développé un bateau avançant grâce aux déchets plastiques transformés en carburant – risquent de croiser nombre de masques flottant au large ou sur les côtes qu’ils visiteront lors de leur tour du monde prévu en janvier 2021
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Une voie prometteuse : le procédé du français Carbios, qui « coupe la liaison chimique servant à fabriquer le plastique et permet de le réutiliser à l’infini ».