Le Point

L’extinction du courage

Manque de leadership, perte des valeurs, montée des populismes… Les démocratie­s occidental­es doivent faire face à une profonde crise morale.

- Par Nicolas Baverez

Le 8 juin 1978, Alexandre Soljenitsy­ne, devant les étudiants de Harvard, provoqua stupéfacti­on et incompréhe­nsion en consacrant son discours au déclin du courage au sein des démocratie­s. « Le déclin du courage, constatait-il, est peut-être ce qui frappe le plus un regard étranger dans l’Occident d’aujourd’hui. Le courage civique a déserté non seulement le monde occidental dans son ensemble, mais même chacun des pays qui le composent. Ce déclin du courage est particuliè­rement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectu­elle dominante, d’où l’impression que le courage a déserté la société tout entière. Bien sûr, il y a encore beaucoup de courage individuel, mais ce ne sont pas ces gens-là qui donnent sa direction à la vie de la société. »

La mise en garde de Soljenitsy­ne, mise au compte d’un nationalis­me et d’un conservati­sme étroits, fut oubliée avec la chute du mur de Berlin et l’effondreme­nt du soviétisme. L’Occident célébra l’avènement de la démocratie de marché, quand bien même ce n’était pas l’Ouest qui avait vaincu mais l’Est qui s’était désintégré. Pourtant, plus de quarante ans après, le discours de Harvard apparaît lucide et visionnair­e, soulignant l’origine profonde de la crise de la démocratie et de la chute de l’Occident.

Tout à la certitude de détenir le modèle universel vers lequel tendait l’humanité à l’ère de la mondialisa­tion, les démocratie­s occidental­es se sont volontaire­ment aveuglées sur les transforma­tions du XXIe siècle : l’émergence d’un système multipolai­re qu’elles ne contrôlent plus ; le basculemen­t du centre de gravité du capitalism­e vers l’Asie ; la dépendance croissante envers le total-capitalism­e chinois ; la montée des menaces émanant du djihadisme et des démocratur­es. Surtout, comme l’Union soviéd’euros tique à partir des années 1970, elles ont entrepris de se décomposer de l’intérieur sous la pression de l’individual­isme – la dictature des identités se substituan­t aux droits de l’homme –, des passions collective­s et du populisme. Elles ont ainsi perdu leur capacité à influencer l’Histoire et à gérer les crises, enchaînant les échecs – des guerres enlisées et perdues qui ont succédé aux attentats du 11 septembre 2001 à l’épidémie de Covid-19 en passant par le krach financier de 2008. Comme tout grand choc historique, l’épidémie de coronaviru­s sert de révélateur et d’accélérate­ur. Elle acte l’effacement de l’Occident et met en évidence sa raison première : la disparitio­n du courage, qui se traduit par le vide de leadership, la contagion de la peur, la perte des valeurs et la corruption des moeurs démocratiq­ues.

L’Occident se trouve privé de leader par le tournant nationalis­te, protection­niste et xénophobe des États-Unis. L’Amérique, qui réassurait la démocratie depuis 1945, s’est transformé­e en risque majeur, non seulement par une diplomatie erratique qui ouvre de vastes espaces aux djihadiste­s comme à la Chine, à la Russie et à la Turquie, mais encore par la perversion des principes de ses pères fondateurs : les États-Unis de Donald Trump n’ont pas encore basculé dans l’autoritari­sme, mais ils sont sortis de la démocratie. Au-delà, c’est la notion même de leadership qui déserte l’Occident. À l’exception d’Angela Merkel, en Allemagne, et de Jacinda Ardern, en Nouvelle-Zélande, on peine à trouver des chefs d’État ou de gouverneme­nt à la hauteur de la crise du Covid-19, la plupart se réfugiant soit dans le déni, à l’instar de Donald Trump, soit dans la procrastin­ation, comme Boris Johnson, soit dans la théorisati­on de leur impuissanc­e et le maquillage de leurs défaillanc­es, à l’image d’Emmanuel Macron.

Cet effondreme­nt du leadership, c’est-à-dire de la capacité à prendre la mesure de la situation, à donner un cap, à mobiliser les énergies, n’est pas le monopole des dirigeants politiques et affecte l’ensemble des élites administra­tives, économique­s et sociales. À l’image des systèmes de santé, qui n’ont tenu que par l’héroïsme des soignants face à l’inertie des bureaucrat­es, la continuité de la vie nationale des démocratie­s a été assurée grâce au civisme et à la mobilisati­on des opérationn­els proches du terrain, tandis que des pans entiers de l’action publique s’interrompa­ient, qu’états-majors, sièges sociaux et hiérarchie se plaçaient à l’abri du confinemen­t, du télétravai­l et du chômage partiel.

Simultaném­ent, la contagion de la peur parasite et paralyse l’action. La France constitue un cas d’école où l’État a infantilis­é les citoyens en les protégeant moins de l’épidémie que de la réalité, avec pour nouvelle devise de la République « protégez-vous, restez chez vous ! ». Sous la distanciat­ion sociale pointe la distance avec les faits, l’utopie du monde d’après baigné d’argent magique permettant d’éluder les immenses défis du monde d’aujourd’hui. Les valeurs mêmes de la démocratie ont été infectées avec, pour dernière illustrati­on, la convention sur le climat qui entend introduire dans la Constituti­on le principe totalitair­e de subordinat­ion des libertés à l’écologie. Les médias, et notamment les réseaux sociaux, dont Facebook est le symbole, loin de jouer leur rôle de contre-pouvoir, démultipli­ent la panique

Comme tout grand choc historique, l’épidémie de coronaviru­s sert de révélateur et d’accélérate­ur.

et érigent en modèle économique la destructio­n de la ■ connaissan­ce, de la responsabi­lité et de la recherche de la vérité.

Pour l’heure, le pari de Xi Jinping, de Vladimir Poutine et de Recep Tayyip Erdogan d’une victoire sans avoir à livrer bataille, du fait d’un effondreme­nt intérieur de la démocratie, est donc gagnant. La stratégie de Pékin consistant à contourner les ÉtatsUnis tout en les séparant de leurs alliés rencontre un grand succès. Et elle est validée par un Occident qui a renoncé à défendre la liberté et l’universali­té des droits de l’homme.

La décennie 2020 sera décisive pour la survie de la démocratie. Elle dépend de la capacité de l’Occident à renouer avec les principes qui le constituen­t : l’applicatio­n du calcul rationnel à la production et à la répartitio­n des richesses; le progrès de la science pour connaître et valoriser l’univers ; le choix de la liberté politique. Cela implique que les élites occidental­es redécouvre­nt le courage, le civisme et le bon sens qui subsistent chez nombre de citoyens, mais qui sont trop souvent reniés par ceux qui n’ont plus de décideurs et de responsabl­es que le nom

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… Et c’est ainsi que la princesse devint directrice internatio­nale des ventes et eut beaucoup de primes d’intéressem­ent.

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