L’écologie est une chose trop importante… pour être confiée aux écologistes
Et si l’on faisait une pause ronchonnement pour voir la vie en rose, vert, bleu et toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ? Apparemment, la nomination de Jean Castex à Matignon est une bonne nouvelle. Voilà un technocrate, par ailleurs élu local, qui fleure le terroir, voire la France périphérique. Avec ça, de l’empathie, du caractère, un accent chantant. Il déménage. On attend la suite.
Que, dans sa première interview à la presse écrite (1), Jean Castex ait parlé d’écologie de manière très concrète (« les circuits courts, le bien-être animal, contre l’artificialisation des terres », etc.), c’est tout un symbole. Après des mois de confinement, il nous donne au moins un bol d’air frais. Ne l’expirons pas totalement. Gardons des réserves pour la rentrée, on en aura besoin.
Qu’est-ce qui va changer maintenant ? Au diable, les grands mots ! Tout être normalement constitué peut avoir des réticences à emprunter, sous les injonctions comminatoires, le pont aux ânes du « monde d’après », formule macronienne s’il en est. Que de fadaises a-t-on dites en son nom ! Il n’en est pas moins vrai que, dans notre vieil Occident, le coronavirus n’en finit pas de transformer les mentalités individuelles, de bousculer les vieux schémas.
Notre civilisation a brusquement découvert l’extrême fragilité du genre humain, contrairement à une grande partie du monde, notamment l’Asie, qui n’a pas eu besoin du coronavirus pour ça : on y vit souvent dans une sorte de communion avec les autres espèces, loin de notre humanisme, ce nombrilisme qui nous amène à croire que nous sommes au centre du cosmos, Dieu ayant prétendument créé pour nous la Terre, les bêtes, les plantes.
Elle dit tout, la fameuse formule du grand chef sioux Sitting Bull (1831-1890), héros de la résistance indienne : « La terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre. » « Quand, ajoutait-il à propos des envahisseurs blancs, ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, alors ils s’apercevront que l’argent ne se mange pas. »
Tandis que le réchauffement climatique continue de faire exploser les records de températures et que le soleil, entré dans un nouveau cycle, s’apprête à déborder d’activité, puisse ce bel été nous réconcilier avec la beauté du monde et nous apprendre, comme l’enseigne la sagesse indienne, à respecter la Terre et tout ce qui vit dessus.
L’écologie, on ne se lassera jamais de le répéter, est une chose trop importante pour être confiée aux écologistes qui nous servent souvent le vieux brouet rouge de l’ultragauche dans une sauce d’herbes du jardin. Pour ne pas nous laisser duper ni sombrer dans l’esprit cucul gnangnan de notre verte époque, l’un des meilleurs antidotes est Le Siècle vert de Régis Debray (2), un mini-livre épatant, délicieusement voltairien.
À l’heure où le tout-écolo est devenu l’idéologie dominante, Debray, qui se définit comme un « vieux schnoque circonspect », enchaîne les saillies moqueuses :« Nous avons vécu sous la cloche de l’Histoire, nous vivrons sous celle de la Nature » ; « Au “Ah, ça ira, ça ira” succède le “Ah, ça triera, ça triera !” » ; « Jouer petit bras favorise le développement durable » ; «Après l’horreur économique, l’horreur écologique ? ».
Régis Debray s’est beaucoup trompé, dans le passé. Sur le castrisme, sur Chavez, la liste est longue comme le bras. Ayant tiré les leçons de ses erreurs de jeunesse, il a, depuis plusieurs décennies, une propension incroyable à prédire l’avenir, comme il l’a montré notamment avec le très prémonitoire Éloge des frontières (3), à relire. C’est un peu notre boule de cristal philosophique.
Prophétique est son « Siècle vert », sorti en janvier dernier, avant la crise du coronavirus. Même si l’écologie est une « obligation », pas une option, comme l’a dit Jean Castex, Régis Debray nous permet de développer à son endroit l’esprit critique dont nous avons besoin, les grandes causes étant souvent rattrapées, ces temps-ci, par la bêtise made in USA.
Dans un nouveau petit livre, Alignez-vous ! (4), Régis Debray s’en prend à l’américanisation de la pensée et à tous ses tics. Le tout dernier, adopté par le New York Times après un mouvement de fond dans les médias américains, consiste, à écrire « Black » avec une majuscule et « white » avec une minuscule. On se pince. D’ici à ce que des associations nous intiment, demain, d’écrire France avec une minuscule…
Mais bon, au point où on en est, ça ne suffira pas à gâcher les vacances, qu’on vous souhaite belles et bonnes !
■ 1. JDD du 5 juillet. 2. Gallimard, « Tracts », janvier 2020.
3. Gallimard, 2010. 4. Gallimard, « Tracts en ligne », juillet 2020.