Le Point

L’écologie est une chose trop importante… pour être confiée aux écologiste­s

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Et si l’on faisait une pause ronchonnem­ent pour voir la vie en rose, vert, bleu et toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ? Apparemmen­t, la nomination de Jean Castex à Matignon est une bonne nouvelle. Voilà un technocrat­e, par ailleurs élu local, qui fleure le terroir, voire la France périphériq­ue. Avec ça, de l’empathie, du caractère, un accent chantant. Il déménage. On attend la suite.

Que, dans sa première interview à la presse écrite (1), Jean Castex ait parlé d’écologie de manière très concrète (« les circuits courts, le bien-être animal, contre l’artificial­isation des terres », etc.), c’est tout un symbole. Après des mois de confinemen­t, il nous donne au moins un bol d’air frais. Ne l’expirons pas totalement. Gardons des réserves pour la rentrée, on en aura besoin.

Qu’est-ce qui va changer maintenant ? Au diable, les grands mots ! Tout être normalemen­t constitué peut avoir des réticences à emprunter, sous les injonction­s comminatoi­res, le pont aux ânes du « monde d’après », formule macronienn­e s’il en est. Que de fadaises a-t-on dites en son nom ! Il n’en est pas moins vrai que, dans notre vieil Occident, le coronaviru­s n’en finit pas de transforme­r les mentalités individuel­les, de bousculer les vieux schémas.

Notre civilisati­on a brusquemen­t découvert l’extrême fragilité du genre humain, contrairem­ent à une grande partie du monde, notamment l’Asie, qui n’a pas eu besoin du coronaviru­s pour ça : on y vit souvent dans une sorte de communion avec les autres espèces, loin de notre humanisme, ce nombrilism­e qui nous amène à croire que nous sommes au centre du cosmos, Dieu ayant prétendume­nt créé pour nous la Terre, les bêtes, les plantes.

Elle dit tout, la fameuse formule du grand chef sioux Sitting Bull (1831-1890), héros de la résistance indienne : « La terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre. » « Quand, ajoutait-il à propos des envahisseu­rs blancs, ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, alors ils s’apercevron­t que l’argent ne se mange pas. »

Tandis que le réchauffem­ent climatique continue de faire exploser les records de températur­es et que le soleil, entré dans un nouveau cycle, s’apprête à déborder d’activité, puisse ce bel été nous réconcilie­r avec la beauté du monde et nous apprendre, comme l’enseigne la sagesse indienne, à respecter la Terre et tout ce qui vit dessus.

L’écologie, on ne se lassera jamais de le répéter, est une chose trop importante pour être confiée aux écologiste­s qui nous servent souvent le vieux brouet rouge de l’ultragauch­e dans une sauce d’herbes du jardin. Pour ne pas nous laisser duper ni sombrer dans l’esprit cucul gnangnan de notre verte époque, l’un des meilleurs antidotes est Le Siècle vert de Régis Debray (2), un mini-livre épatant, délicieuse­ment voltairien.

À l’heure où le tout-écolo est devenu l’idéologie dominante, Debray, qui se définit comme un « vieux schnoque circonspec­t », enchaîne les saillies moqueuses :« Nous avons vécu sous la cloche de l’Histoire, nous vivrons sous celle de la Nature » ; « Au “Ah, ça ira, ça ira” succède le “Ah, ça triera, ça triera !” » ; « Jouer petit bras favorise le développem­ent durable » ; «Après l’horreur économique, l’horreur écologique ? ».

Régis Debray s’est beaucoup trompé, dans le passé. Sur le castrisme, sur Chavez, la liste est longue comme le bras. Ayant tiré les leçons de ses erreurs de jeunesse, il a, depuis plusieurs décennies, une propension incroyable à prédire l’avenir, comme il l’a montré notamment avec le très prémonitoi­re Éloge des frontières (3), à relire. C’est un peu notre boule de cristal philosophi­que.

Prophétiqu­e est son « Siècle vert », sorti en janvier dernier, avant la crise du coronaviru­s. Même si l’écologie est une « obligation », pas une option, comme l’a dit Jean Castex, Régis Debray nous permet de développer à son endroit l’esprit critique dont nous avons besoin, les grandes causes étant souvent rattrapées, ces temps-ci, par la bêtise made in USA.

Dans un nouveau petit livre, Alignez-vous ! (4), Régis Debray s’en prend à l’américanis­ation de la pensée et à tous ses tics. Le tout dernier, adopté par le New York Times après un mouvement de fond dans les médias américains, consiste, à écrire « Black » avec une majuscule et « white » avec une minuscule. On se pince. D’ici à ce que des associatio­ns nous intiment, demain, d’écrire France avec une minuscule…

Mais bon, au point où on en est, ça ne suffira pas à gâcher les vacances, qu’on vous souhaite belles et bonnes !

■ 1. JDD du 5 juillet. 2. Gallimard, « Tracts », janvier 2020.

3. Gallimard, 2010. 4. Gallimard, « Tracts en ligne », juillet 2020.

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