Le Point

Changer de cap ? Déjà fait…

La gestion protection­niste de la pandémie ne fait qu’entériner le virage antilibéra­l adopté par Macron au lendemain de la crise des Gilets jaunes.

- Par Pierre-Antoine Delhommais

Àobserver les débats télévisés organisés après le changement de Premier ministre, on se dit que le monde politique français d’après risque de ressembler beaucoup au monde d’avant. Les députés de La République en marche ont tous fait part de leur enthousias­me devant ce nouvel élan donné au quinquenna­t, les représenta­nts des Républicai­ns n’ont pas caché leur agacement et surtout leur embarras face à la nouvelle nomination d’un des leurs à Matignon, tandis qu’à l’unisson les dirigeants de La France insoumise et du Rassemblem­ent national ont condamné par avance la poursuite d’une politique ultralibér­ale et antisocial­e.

La question de savoir si le remplaceme­nt d’Édouard Philippe par Jean Castex va ou non se traduire par un changement de cap dans la politique économique n’a en vérité pas beaucoup de sens dans la mesure où celui-ci était déjà intervenu bien avant la pandémie. Il remonte à décembre 2018, quand le président de la République, renonçant à son engagement solennel de réduire les dépenses de l’État, avait lâché une vingtaine de milliards d’euros d’argent public pour soutenir le pouvoir d’achat et calmer la colère des Gilets jaunes. Quelques mois plus tard, à l’issue du grand débat national, il avait aussi officielle­ment enterré sa promesse de campagne de diminuer de 120 000 le nombre de fonctionna­ires durant son quinquenna­t. La loi de finances pour 2020 avait d’ailleurs entériné l’abandon de cet objectif en prévoyant 47 suppressio­ns de postes dans la fonction publique d’État.

Ces mesures factuellem­ent très peu libérales se sont également accompagné­es, depuis plus d’un an, d’un net changement de tonalité dans les propos que le chef de l’État tient à l’égard de la mondialisa­tion, qu’il présentait, quand il s’est installé à l’Élysée, comme une chance pour l’économie française, offrant de formidable­s opportunit­és de développem­ent internatio­nal pour des entreprise­s tricolores compétitiv­es et conquérant­es. À la place de ce discours optimiste et offensif d’ouverture de la France sur une mondialisa­tion heureuse, Emmanuel Macron a dénoncé à plusieurs reprises, au cours des douze derniers mois, « un capitalism­e devenu fou », « une Europe ouverte à tous les vents » et même « une Europe ultralibér­ale qui ne permet plus aux classes moyennes de bien vivre ». Lors du G7 de Biarritz, à la fin du mois d’août de l’année dernière, le président français avait même fait sensation en s’opposant, à la surprise générale, au traité de libre-échange négocié entre l’Union européenne et le Mercosur, traité auquel il avait jusqu’alors toujours apporté son soutien.

Avec la pandémie, le virage «keynésiano-protection­niste» qui avait été pris lors de la crise des Gilets jaunes s’est brusquemen­t accentué, jusqu’à prendre des allures de tête-à-queue par rapport à la route droite libérale que le quinquenna­t était censé suivre. D’abord, bien sûr, le Covid-19 a fait voler en éclats l’objectif initial, et déjà très sérieuseme­nt compromis, d’assainir les finances publiques. La dette augmentera de 270 milliards d’euros cette année, le déficit dépassera les 11 % du PIB, tandis que les dépenses publiques grimperont à 64 % du PIB à la fin 2020, un niveau jamais vu dans l’histoire du pays.

La logique du repli sur soi a remplacé celle d’une économie française tirant profit de son ouverture au monde.

Cette dérive des comptes publics n’est bien sûr pas propre à la France mais, alors qu’en Allemagne, par exemple, elle est présentée comme une parenthèse catastroph­ique, c’est sans aucun état d’âme et presque même avec une certaine fierté qu’elle est assumée et revendiqué­e par Emmanuel Macron, avec son « quoi qu’il en coûte » brandi comme une preuve de la puissance supérieure et illimitée de l’État. Parallèlem­ent, le discours présidenti­el martèle désormais l’urgence et la nécessité de relocalise­r la production industriel­le afin de promouvoir le « made in France » et d’assurer au pays sa souveraine­té économique. Le thème, jugé longtemps prioritair­e, de la compétitiv­ité des entreprise­s pour qu’elles puissent gagner des parts de marché à l’exportatio­n est relégué au second plan, la logique du repli sur soi a remplacé celle d’une économie française tirant profit de son ouverture au reste du monde.

Des dépenses publiques et une dette qui s’envolent, des frontières qui se referment, un État plus présent et interventi­onniste que jamais, le changement de cap a déjà bel et bien eu lieu qui voit la politique économique du quinquenna­t conduire le pays vers une destinatio­n située aux antipodes de celle vers laquelle le candidat Emmanuel Macron était supposé le mener. Et rien n’indique, tout au contraire, que Jean Castex, qui se définit luimême comme un « gaulliste social », ait la volonté d’en changer et de donner d’ici à deux ans un violent coup de barre libéral

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« J’espère que les Lambert aiment le poisson. »

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