Le Point

L’italianisa­tion de la France

Dette hors de contrôle, chômage de masse, Étatboulet, défiance envers le politique… Notre pays s’engage sur la (mauvaise) voie romaine.

- Par Nicolas Baverez

De 1494 au traité de Cateau-Cambrésis, en 1559, les rois de France, fascinés par le développem­ent, la richesse et la civilisati­on des principaut­és italiennes, s’engagèrent dans un cycle de guerres sans fin. Elles tournèrent au désastre, épuisant le royaume. En revanche, elles provoquère­nt une vive accélérati­on du progrès technique, de l’artillerie à l’imprimerie, qui fit éclore la Renaissanc­e française, marquée par un extraordin­aire rayonnemen­t des arts, des lettres et de la langue nationale.

Aujourd’hui, de nouveau, la France semble prendre l’Italie pour modèle. Mais une Italie devenue l’«homme malade» de l’Union européenne et de la zone euro, rongée par le déclin démographi­que, la stagnation économique, la décomposit­ion de l’État et de la nation. Depuis la création de l’euro, la croissance de l’économie italienne a été limitée à 0,2 % par an, et la richesse par habitant n’a progressé que de moins de 3 % contre 30 % en Espagne. Sous la pression de la mondialisa­tion, nombre d’entreprise­s ont été réduites à l’état de zombies, faute d’investisse­ment et d’innovation, ce qui a fragilisé les banques. L’État fonctionne sur un modèle clientélis­te. Les citoyens ont perdu toute confiance dans la classe politique, basculant vers les partis populistes.

La pandémie a porté le coup de grâce au pays en dévastant la Lombardie et la Vénétie, régions les plus modernes et les plus productive­s, en déstabilis­ant le tourisme, qui représente 20% du PIB, et l’industrie manufactur­ière, en faisant bondir l’inactivité, qui touche 14,6 millions de personnes, en actant la faillite de l’État, pris en tenailles entre la perte de contrôle de la dette, qui culmine à 160 % du PIB, et la concurrenc­e de la mafia, plus efficace pour voler au secours des PME. Venant après la crise de l’euro, les flux de migrants et la gestion déplorable des catastroph­es naturelles ou industriel­les, la tourmente du Covid acte l’incapacité de l’Italie à s’adapter à la nouvelle donne du XXIe siècle.

Le paradoxe veut que la France, qui a fait preuve d’une arrogance sans pareille, d’une inconséque­nce et d’une absence de solidarité coupables face à la crise sanitaire italienne, se trouve désormais en voie d’italianisa­tion accélérée.

Les deux pays affrontent une récession comprise entre 11,5 et 13% du PIB. Mais c’est surtout sur le plan structurel que la France se rapproche de l’Italie. La démographi­e chute depuis le démantèlem­ent de la politique familiale, et la jeunesse se trouve de plus en plus reléguée, condamnée à la précarité ou à l’exil. Les gains de productivi­té et la croissance potentiell­e sont quasiment nuls. Un chômage permanent s’est installé qui touche plus de 10 % de la population active. La dette publique s’élèvera à 121 % du PIB à la fin de 2020 et devrait rapidement atteindre 140 % du PIB, selon la Cour des comptes. Et ce faute de maîtrise des dépenses des administra­tions qui représente­ront cette année les deux tiers du PIB, supplantan­t la production d’entreprise­s exsangues qui ont accumulé 1 800 milliards d’euros de dettes.

La France partage ainsi avec l’Italie un modèle économique insoutenab­le, une dette sortie de tout contrôle, une situation de risque systématiq­ue pour l’Union et la zone euro. Notre pays commence aussi à recourir au maquillage de ses comptes avec le cantonneme­nt de la dette Covid, dont l’objectif est de réduire artificiel­lement le niveau de la dette globale et de préparer les esprits à l’idée qu’elle ne sera pas remboursée.

La convergenc­e entre la France et l’Italie ne se limite pas à la stagnation de l’économie et à la dérive financière. L’État est devenu un fardeau pour la nation, du fait de son improducti­vité, de son inefficaci­té et de son incapacité à gérer les crises. La qualité des services publics se dégrade et devient de plus en plus hétérogène en fonction des territoire­s. La paralysie et la perte de légitimité de l’Etat débouchent sur une crise démocratiq­ue majeure, marquée par le désengagem­ent des citoyens – illustré par l’abstention de 59 % lors du second tour des municipale­s –, la défiance envers les institutio­ns et les dirigeants, la montée de la tentation autoritair­e. Le vide de leadership et de stratégie encourage la désintégra­tion de la nation, qui se traduit par l’explosion de la violence apparue avec le mouvement des Gilets jaunes puis les grèves contre la réforme des retraites.

La France commence aussi à recourir au maquillage de ses comptes avec le cantonneme­nt de la dette Covid.

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