Erdogan, Poutine et Xi en guerre contre l’Occident
Les trois autocrates récrivent l’Histoire pour saper les valeurs démocratiques.
Pour asseoir leur pouvoir, les autocrates excellent à manipuler l’Histoire. L’intention exprimée par le président turc Erdogan de convertir à nouveau en mosquée la basilique Sainte-Sophie d’Istanbul n’est pas une toquade, ni même une simple provocation antichrétienne. Elle est un épisode d’une guerre culturelle mondiale contre l’Occident et ses principes libéraux. En se posant en égal du sultan Mehmed II qui s’empara de Constantinople au XVe siècle, le chef de l’État cherche à consolider son pouvoir tyrannique en Turquie et à légitimer ses ambitions néoimpériales autour de la Méditerranée. Atatürk reconnaissait dans la basilique byzantine l’un des chefs-d’oeuvre d’une culture humaine universelle. Erdogan, lui, entend la transformer en symbole du revanchisme identitaire islamo-turc qu’il incarne.
« Le passé n’est jamais mort. Il n’est même pas passé », écrivait William Faulkner. Se présenter comme l’héritier de gloires ataviques est plus valorisant que d’avouer être un dictateur asservissant son peuple. En exaltant le passé, en arrangeant l’Histoire à leur sauce, démagogues et despotes en tout genre espèrent détourner l’attention populaire des conséquences dramatiques de leur mauvaise gestion et de la corruption de leur régime.
Recep Tayyip Erdogan met ses pas dans ceux de Vladimir Poutine. Le président russe n’hésite pas à décrire ses actions les plus provocatrices, l’annexion de la Crimée par exemple, comme la réparation d’une grave injustice historique dont aurait souffert son pays depuis la fin du régime soviétique. Au pouvoir depuis vingt ans, Poutine vient de s’octroyer la possibilité d’y rester seize de plus en faisant amender la Constitution de 1993, qu’il avait juré de respecter. La nouvelle loi fondamentale installe le président russe comme le seul garant d’une interprétation « juste » de l’histoire nationale. Pour faire bonne mesure, Poutine a publié le mois dernier un article fleuve dans une revue américaine, The National Interest, intitulé « Les vraies leçons du 75e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale ». Dans ce texte ahurissant, il accuse la Pologne d’avoir pris le parti d’Adolf Hitler avant le conflit, et la France et la Grande-Bretagne d’avoir comploté pour dresser l’Union soviétique et l’Allemagne nazie l’une contre l’autre. En revanche, il passe sous silence les responsabilités de Staline, que ce soit sa participation au dépeçage de la Pologne, sa guerre d’agression de 1939-1940 contre la Finlande ou l’annexion des pays Baltes et la déportation de leurs populations en Sibérie.
Construire une légende sert à excuser les pires turpitudes. Le président chinois Xi Jinping ne fait pas autre chose lorsqu’il invoque « le grand renouveau de la nation chinoise » pour étouffer les aspirations des Hongkongais à la liberté, annexer des îlots stratégiques en mer de Chine et manigancer le retour de Taïwan dans l’orbite de Pékin. L’empereur rouge se considère investi d’une mission historique visant à rendre à son pays son statut de première puissance mondiale, qu’il aurait perdu au XVIIIe siècle du fait de menées hostiles de l’Occident et du Japon.
Erdogan, Poutine ou Xi: leurs propagandes historiques diffèrent mais leur objectif est le même, consolider leur mainmise sur leur pays et ses richesses. Leur ennemi aussi est commun, ce sont les valeurs libérales, que le président russe a dépeintes comme « obsolètes ». Eux prétendent défendre des « civilisations » distinctes, ancrées dans un passé fantasmé et que l’Occident n’aurait de cesse de corrompre. Cible d’une offensive idéologique, l’Europe doit comprendre qu’elle ne trouvera pas son salut dans la complaisance avec les dictateurs mais dans la défense sans compromis de ses principes. Pour cela, ses meilleurs alliés sont les populations qui se battent avec courage pour la liberté et la démocratie, qu’elles soient à Hongkong, à Moscou ou à Istanbul. Elle gagnerait à les soutenir
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Dans un article ahurissant, le président russe accuse la Pologne d’avoir pris le parti d’Adolf Hitler avant la guerre.