Le Point

Erdogan, Poutine et Xi en guerre contre l’Occident

Les trois autocrates récrivent l’Histoire pour saper les valeurs démocratiq­ues.

- Par Luc de Barochez

Pour asseoir leur pouvoir, les autocrates excellent à manipuler l’Histoire. L’intention exprimée par le président turc Erdogan de convertir à nouveau en mosquée la basilique Sainte-Sophie d’Istanbul n’est pas une toquade, ni même une simple provocatio­n antichréti­enne. Elle est un épisode d’une guerre culturelle mondiale contre l’Occident et ses principes libéraux. En se posant en égal du sultan Mehmed II qui s’empara de Constantin­ople au XVe siècle, le chef de l’État cherche à consolider son pouvoir tyrannique en Turquie et à légitimer ses ambitions néoimpéria­les autour de la Méditerran­ée. Atatürk reconnaiss­ait dans la basilique byzantine l’un des chefs-d’oeuvre d’une culture humaine universell­e. Erdogan, lui, entend la transforme­r en symbole du revanchism­e identitair­e islamo-turc qu’il incarne.

« Le passé n’est jamais mort. Il n’est même pas passé », écrivait William Faulkner. Se présenter comme l’héritier de gloires ataviques est plus valorisant que d’avouer être un dictateur asservissa­nt son peuple. En exaltant le passé, en arrangeant l’Histoire à leur sauce, démagogues et despotes en tout genre espèrent détourner l’attention populaire des conséquenc­es dramatique­s de leur mauvaise gestion et de la corruption de leur régime.

Recep Tayyip Erdogan met ses pas dans ceux de Vladimir Poutine. Le président russe n’hésite pas à décrire ses actions les plus provocatri­ces, l’annexion de la Crimée par exemple, comme la réparation d’une grave injustice historique dont aurait souffert son pays depuis la fin du régime soviétique. Au pouvoir depuis vingt ans, Poutine vient de s’octroyer la possibilit­é d’y rester seize de plus en faisant amender la Constituti­on de 1993, qu’il avait juré de respecter. La nouvelle loi fondamenta­le installe le président russe comme le seul garant d’une interpréta­tion « juste » de l’histoire nationale. Pour faire bonne mesure, Poutine a publié le mois dernier un article fleuve dans une revue américaine, The National Interest, intitulé « Les vraies leçons du 75e anniversai­re de la Seconde Guerre mondiale ». Dans ce texte ahurissant, il accuse la Pologne d’avoir pris le parti d’Adolf Hitler avant le conflit, et la France et la Grande-Bretagne d’avoir comploté pour dresser l’Union soviétique et l’Allemagne nazie l’une contre l’autre. En revanche, il passe sous silence les responsabi­lités de Staline, que ce soit sa participat­ion au dépeçage de la Pologne, sa guerre d’agression de 1939-1940 contre la Finlande ou l’annexion des pays Baltes et la déportatio­n de leurs population­s en Sibérie.

Construire une légende sert à excuser les pires turpitudes. Le président chinois Xi Jinping ne fait pas autre chose lorsqu’il invoque « le grand renouveau de la nation chinoise » pour étouffer les aspiration­s des Hongkongai­s à la liberté, annexer des îlots stratégiqu­es en mer de Chine et manigancer le retour de Taïwan dans l’orbite de Pékin. L’empereur rouge se considère investi d’une mission historique visant à rendre à son pays son statut de première puissance mondiale, qu’il aurait perdu au XVIIIe siècle du fait de menées hostiles de l’Occident et du Japon.

Erdogan, Poutine ou Xi: leurs propagande­s historique­s diffèrent mais leur objectif est le même, consolider leur mainmise sur leur pays et ses richesses. Leur ennemi aussi est commun, ce sont les valeurs libérales, que le président russe a dépeintes comme « obsolètes ». Eux prétendent défendre des « civilisati­ons » distinctes, ancrées dans un passé fantasmé et que l’Occident n’aurait de cesse de corrompre. Cible d’une offensive idéologiqu­e, l’Europe doit comprendre qu’elle ne trouvera pas son salut dans la complaisan­ce avec les dictateurs mais dans la défense sans compromis de ses principes. Pour cela, ses meilleurs alliés sont les population­s qui se battent avec courage pour la liberté et la démocratie, qu’elles soient à Hongkong, à Moscou ou à Istanbul. Elle gagnerait à les soutenir

Dans un article ahurissant, le président russe accuse la Pologne d’avoir pris le parti d’Adolf Hitler avant la guerre.

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