« Il est temps de penser à créer de la richesse »
Patron d’une entreprise familiale en pointe dans l’agroalimentaire, il milite pour que la France redevienne un pays productif à forte valeur ajoutée.
Depuis Saint-Denis-de-l’Hôtel, dans le Loiret, un village de 2 500 habitants à une heure trente au sud de Paris, Emmanuel Vasseneix n’a pas chômé ces dernières semaines. À la tête d’une entreprise familiale spécialisée dans l’agroalimentaire – lait, jus de fruits, salades, etc. – , il a dû s’adapter aux comportements, parfois irrationnels, des consommateurs français pendant la crise sanitaire, mais il a tout de même pris le temps de suivre – avec attention – les débats économiques émergents. Parfois, cela l’a agacé ; souvent, cela l’a scotché : « On préfère nous infantiliser plutôt qu’expliquer les principes de base de l’économie », nous dit le numéro un de LSDH (2 000 salariés, 7 usines, 900 millions d’euros de chiffre d’affaires). Voici les leçons d’économie d’un patron qui a les mains dans le cambouis
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Le Point: À l’occasion de cette crise, on a beaucoup parlé de «relocalisation»… Emmanuel Vasseneix :
Je suis en train de relocaliser des productions végétales de boissons à base d’avoine, de soja, de sarrasin, à Saint-Denis-de-l’Hôtel en créant des filières durables avec des producteurs locaux. C’est un enjeu social, sociétal et environnemental. Je fais donc construire un nouveau bâtiment, à côté de mon usine. Cela vire au casse-tête : je dois me coltiner trois enquêtes publiques. Une pour savoir si je peux déclasser le bois, une pour modifier le PLU [plan local d’urbanisme] et une pour déposer mon permis de construire et l’exploiter. Pourquoi ne pas mener une seule étude traitant toutes les questions ? En parallèle, je monte également une usine à Cholet. C’est un investissement total pour le groupe de 300 millions d’euros. Trois ans pour boucler ce projet en France, contre un an et demi en Allemagne et un an en Espagne. Pour des raisons de réglementation… Il est temps de bouleverser notre façon de faire, de penser avant tout à créer de la richesse et non pas à la dépenser avant, sinon la France deviendra un désert industriel et agricole.
Que voulez-vous dire?
On parle beaucoup de réindustrialisation, mais il faudrait déjà se donner les moyens d’éviter de nouvelles délocalisations. Avec cette crise, les dirigeants d’entreprises doivent réaliser des arbitrages. Je crains que cela ne se fasse en défaveur de la France, qui traîne quatre boulets énormes : 1. Son amour pour la réglementation et la surtransposition des directives européennes; 2. Le coût élevé du travail; 3. Les impôts productifs, deux fois plus élevés que la moyenne européenne selon le METI [Mouvement des entreprises de taille intermédiaire] et huit fois plus que l’Allemagne ; 4. Une politique de formation inadaptée.
Je reçois de plus en plus d’offres de cabinets proposant de m’aider à me délocaliser ailleurs en Europe. Je suis à la tête d’une entreprise familiale, nous sommes d’ici, nous travaillons avec les gens d’ici. Je travaille pour la pérennité, je vois loin, ce qui n’est pas le cas de la plupart des dirigeants, surtout quand ils sont aux commandes de filiales de multinationales. À leurs yeux, la France est une terre où commercer. Il y a du business à faire, les grosses boîtes viennent. Y produire? Ils regardent le coût, point barre. N’oublions pas que Bruxelles ou Francfort sont plus proches de Paris que Marseille ou Bordeaux : pour ces questions de coût, le risque est grand de voir des implantations à 20 kilomètres de la frontière française, mais côté allemand ou belge, pour livrer la France.
Vous vendez du lait. Expliquez-nous pourquoi, dans les supermarchés français, on trouve du lait allemand alors que notre pays en jette pour cause de surproduction?
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