Le Point

Mortelles vendanges

Il publie son quinzième roman, Le Jour des Cendres. Portrait d’un tueur de papier.

- PAR JEAN-LUC WACHTHAUSE­N

Laissé pour mort dans Les Rivières pourpres, le commandant Pierre Niémans ressuscite dans

Le Jour des Cendres.

Il est assisté par l’intrépide Ivana, qui va l’aider à enquêter au sein d’une communauté religieuse plantée au milieu des vignobles d’Alsace, au moment des vendanges. On retrouve le corps d’un prestigieu­x chef, un Émissaire, broyé sous les décombres d’une fresque de la chapelle. Suicide, accident ou meurtre ? Dans cette communauté vierge de tout péché, comment le sang peut-il couler ? Les voies du Seigneur sont impénétrab­les, sauf pour nos héros, qui sondent l’invisible et nous entraînent sur des chemins de traverse diabolique­s. Intrigue fluide, suspense aiguisé et sueurs froides à la clé, un Grangé en odeur de sainteté.

Le principe de précaution, ce n’est pas pour lui. Autant dire qu’il « ne comprend rien à cette société qui ne prend plus aucun risque ». Quand il écrit, il n’a pas peur et fait tout pour effrayer le lecteur. En vingt-cinq ans, quinze romans et autant de succès, Jean-Christophe Grangé, né en 1961 à Boulogne-Billancour­t, a conquis son titre de maître du thriller à la française. Du premier, Le Vol des cigognes, au tout dernier, Le Jour des Cendres, en passant par Les Rivières pourpres, L’Empire des loups et Lontano, sa route est jonchée de cadavres pas du tout exquis, de duels à mort, de chasses à l’homme, de scènes d’exorcisme, de sectes, de mafieux, de tueurs fous, d’enfants victimes d’eugénisme.

L’horreur maîtrisée de façon méthodique par un « artisan » qui, chaquejour, se lève à 3 heures du matin pour construire page par page son univers, où se disputent sans cesse le bien et le mal. « Mes thrillers sont des contes pour adultes, comme il y a des contes pour enfants, assure-t-il au téléphone, de sa voix douce et posée. C’est le plaisir de jouer à avoir peur en sachant que c’est faux. »

Ce goût pour la violence et le mystère, Jean-Christophe Grangé l’explique par une « situation familiale menaçante » lorsqu’il était enfant. « J’avais un père fou que je n’ai jamais vu, mais qui rôdait sans cesse autour de moi », se souvient-il. Élevé par sa mère et sa grandmère qui ne disaient mot à un garçon qui vivait des nuits de cauchemar, tout en étant attiré par les trains fantômes et les films d’horreur. « Je sentais cette menace, se souvient-il, et je crois que ça a joué dans ma fascinatio­n pour la peur et l’angoisse, qui se sont transformé­es plus tard en objet esthétique. Il me fallait changer ce sentiment toxique en plaisir artistique, en jouissance, et creuser la question que me pose encore aujourd’hui mon petit garçon : “Ça fait peur ? ” »

À partir de là, toutes les raisons sont bonnes pour sauter dans l’inconnu et écrire des récits qui glacent le sang, proches du pur plaisir masochiste. « La peur, la tension, la menace sont un genre en soi qui m’intéresse, rétorque l’intéressé. Pourtant, je n’ai aucune complaisan­ce avec la violence. J’écris simplement sur des choses avec lesquelles j’ai des problèmes et que je n’ai jamais digérées, comme ce jour où j’ai découvert le mal absolu, la violence extrême en voyant Nuit et Brouillard, le documentai­re d’Alain Resnais sur les camps de concentrat­ion. »

Minutie. Sans doute la fiction est-elle devenue un moyen pour Grangé de régler ses comptes avec luimême, sans pour autant oublier de prendre le lecteur par la main et de le divertir. Et s’il a des « idées noires », il s’agit avant tout de « frémir par plaisir ». Voilà le viatique, le fil d’Ariane de cet ancien grand reporter qui a « stocké » dans sa mémoire les « souvenirs incarnés » de reportages à travers le monde. « Ce contact avec le réel, parfois violent, a nourri mon imaginatio­n, m’a poussé à écrire et a donné à mes romans un grain réaliste », ajoute-t-il.

Pour terroriser le lecteur pris au piège dans un univers anxiogène, Grangé a une règle, toute simple : toujours adopter le point de vue des personnage­s, souvent cabossés de partout. « Quand j’imagine une situation menaçante et sous tension, je me mets dans leur peau et leur tête pour décrire ce qu’ils voient et ressentent. Pour susciter la peur, j’agis en permanence comme une caméra subjective. » Ce qui nous vaut de belles sueurs froides, comme

« Je n’ai aucune complaisan­ce avec la violence. J’écris simplement sur des choses avec lesquelles j’ai des problèmes et que je n’ai jamais digérées. »

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Réaliste. Le secret de Jean-Christophe Grangé ? Agir en permanence comme une caméra subjective.
 ??  ?? « Le Jour des Cendres », de Jean-Christophe Grangé (Albin Michel, 368 p., 21,90 €).
« Le Jour des Cendres », de Jean-Christophe Grangé (Albin Michel, 368 p., 21,90 €).

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