Mukherjee fait dérailler ses adversaires
Avec L’Attaque du CalcuttaDarjeeling (Liana Levi), Abir Mukherjee est notre lauréat cette année. En voiture ! Les membres du jury
Le Brexit consommé, c’est peut-être notre dernier lauréat britannique pour ce prix qui récompense le meilleur polar européen de l’année. Un Britannique des marges, puisque ce quadragénaire né à Londres de parents bengalis s’affirme écossais. Deux cultures (voire trois) dans le chaudron, qui ont produit un précipité curry-gingembre sévèrement piqué de british humour dans le Calcutta de 1919 : L’Attaque du Calcutta-Darjeeling.
Le premier tome d’une série qui en compte déjà quatre, traduits dans neuf langues, des enquêtes d’un duo qui prend les clichés à rebrousse-poil, et dont
● Jean-Louis Debré, ancien ministre, ancien président du Conseil constitutionnel, président du Conseil supérieur des archives (président du jury).
● Hannelore Cayre, écrivaine, lauréate 2017 du prix et invitée d’honneur du festival. ● Jacques Dupont, Le Point. l’adaptation en série télé arrive – si tout va bien, signée par les producteurs de House of Cards, avec en vedette Kunal Nayyar, de la sitcom The Big Bang Theory. En guise de Holmes et de Watson : Sam Wyndham, capitaine de Scotland Yard revenu opiomane de la Grande Guerre et son collègue, que tout sépare, le sergent Banerjee, indigène éduqué à Cambridge. Meurtre il y a eu dans cet étrange pays où la vie humaine ne vaut pas tripette. Celui d’un haut fonctionnaire et stratège politique (retrouvé égorgé dans le caniveau, un message griffonné dans la bouche), autour duquel plane l’idée de la vengeance et de l’indépendance.
« Sens de l’hypocrisie ». Mukherjee, loquace, qui aurait dû recevoir ce prix à l’occasion du traditionnel festival Quais du polar à Lyon en avril, si le Covid n’était pas passé par là, nous livre par téléphone les germes de son histoire. Lui, le « Scottish-Indian », qui a grandi, dit-il, « dans une société qui préfère se focaliser sur les années 1930 et 1940 de l’histoire allemande plutôt que d’enseigner la sienne propre ». C’est-àdire l’histoire coloniale. Occultation de certains pans, ou « absence de vérité », qui conduit selon lui à « répéter ses erreurs », voter en faveur de ce « non-sens » qu’est le Brexit ou à se croire « toujours du côté du bon droit », des « anges » : les Américains…
Wyndham et Banerjee, le Brit et le Bengali, nous offrent une séance de rattrapage en histoire authentique des colonies de l’Empire, juste à côté des nôtres, Pondichéry et Chandernagor, par exemple. La vraie double face de l’histoire que l’auteur a choisi de livrer selon les codes du roman policier, « parce que les polars, c’est ce que les gens lisent », et que le divertissement prévaut chez lui, et c’est heureux, sur la leçon. C’est donc avec férocité que Mukherjee s’attaque au racisme ambiant et à la domination culturelle, avec un humour décapant qu’il fait saillir « le bon dans le mal », et avec justesse qu’il nous rappelle « le sens de l’hypocrisie » dont sont dotés les Britanniques. Sans toutefois nier ce dont ce grand peuple est capable. Sur la place qui fait face au Parlement à Londres se trouvent les statues de Churchill, « qui a causé la mort de 3 millions de personnes en 1942 et 1943 en Inde, durant ce que l’on appelle la famine du Bengale», et de Gandhi, poursuit le romancier. « Et cela dit quelque
● Irène Frain, écrivaine.
● René Frégni, écrivain.
● Marie-Françoise Leclère, Le Point.
● Julie Malaure, Le Point.
● Christophe Ono-dit-Biot, Le Point. ● Jean-Louis Pietri, ancien commandant dans la police judiciaire, écrivain. ● François Pirola, président du festival Quais du polar.
de Wojciech Chmielarz
Il y a des jours avec et des jours sang. Ce fut un de ceux-là pour cette jeune étudiante en journalisme, ce matin-là à Varsovie. Traduit du polonais par Erik Veaux.
(Agullo, 416 p., 22 €).
de Morgane Montoriol
Le polar choc et chic où la mort s’habille en Prada et les flics chez Hugo Boss. Froid, glacial mais toujours élégant. Le diable se planque vraiment dans les détails. (Albin Michel, 368 p., 21,90 €).
C’est la friandise philosophique de l’été. Alors qu’elle s’apprête à faire ses cartons après une rupture, Ilaria Gaspari, 34 ans, docteure en philosophie, range sa bibliothèque antique et s’aperçoit qu’elle a étudié tous ces livres trop scolairement pour leur laisser une chance de lui apprendre quelque chose. Maintenant qu’elle est au fond du trou, elle se dit que ce serait peut-être pas mal de se mettre à leur école en vivant, chaque semaine que Zeus fait, selon les principes d’une philosophie antique. La première semaine, ce sera chez les pythagoriciens, la sixième, et dernière, chez Diogène et les cyniques. Le résultat de l’expérience est un livre aussi fin que joyeux (Leçons de bonheur, PUF) et d’une drôlerie irrésistible. Quand, par exemple, elle doit appliquer le précepte n° 6 de Pythagore, « n’attise pas le feu avec un couteau », alors qu’elle n’a pas de cheminée. Ou quand, pendant sa semaine chez Épicure, elle redécouvre que la doctrine du plaisir élaborée par ce dernier se fonde entièrement sur la privation… Dur, pour la jeune Italienne qui comptait bien, pendant ces sept jours épicuriens, se consoler de ses peines de coeur « avec un appétit presque lubrique »
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HYPATIE 2020.