Le Point

Une saga française

- PAR MARC LAMBRON,

Alain Missoffe et Philippe Franchini ont choisi un angle inusité pour traiter de la dynastie Wendel : ils passent par les femmes. Cette famille flamande de Bruges avait fondé en 1704 une aciérie en Lorraine pour nourrir pendant trois siècles la chronique des maîtres de forges. Des hommes forts y occupent les tréteaux de la légende, mais la part féminine de la saga apparaît à la fois interne et latérale, déjouant l’assignatio­n à résidence des convention­s pour faire bourgeonne­r des existences signées. Prisant moins l’hagiograph­ie que les écarts, les auteurs nous présentent quinze femmes de fer, autant d’études d’alliages.

Les premières décennies furent propices à la traversée des feux. C’est ainsi que Marguerite de Wendel, veuve en 1784, dut affronter seule l’occupant austro-prussien puis les séquestres du tribunal révolution­naire, alors même que ses forges fournissai­ent les armées de la République, avant d’être sauvée par le Directoire. Sa belle-fille Joséphine, madone de la fonte, elle aussi veuve précoce, réinstalla sur ses bases la dynastie en pionnière des cités ouvrières et des oeuvres sociales. Berthe, sous l’occupation allemande de 1914-1918, contribua à maintenir intact l’appareil productif tout en entretenan­t auprès de ses fils un cluster de brus tenaces.

Osera-t-on dire notre préférence pour le XXe siècle ? Du côté parfumé, Hélène de Wendel, épouse du fils d’Anna de Noailles, frottée de trilles et d’incunables, traductric­e de Hölderlin, vaporisant du Chanel n° 5 sur des coulées d’acier. Du côté heavy metal, c’est honneur et patrie. De souche Wendel, voici Thérèse de Hauteclocq­ue, veuve glorieuse du maréchal Leclerc. Élisabeth de La Panouse, épouse du professeur Robert Debré, membre du réseau du musée de l’Homme. Sa fille Bertranne, médaille de la Résistance, exfiltrant sans relâche des aviateurs anglais hors de la France occupée. Son autre fille Oriane, agent de liaison du réseau Cohors, future épouse du ministre gaulliste Yves Guéna. Et même une aventurièr­e de l’air, Françoise épouse Schneider – deux forges en une –, disparue en 1944 avec son époux dans le crash de leur avion. Ces nymphes de l’acier étaient des pétroleuse­s.

Une fois la paix civile revenue, non moins intrépide sera Hélène Missoffe, mère de huit enfants, l’une des deux seules femmes UDR à la Chambre quand il fallut soutenir Simone Veil sur l’IVG, secrétaire d’État sous Raymond Barre, transmetta­nt le flambeau à sa fille Françoise de Panafieu.. Cette gynocratie lorraine ajouta aux privilèges de la naissance les accompliss­ements de la volonté

Femmes de fer, d’Alain Missoffe et Philippe Franchini (Tallandier, 328 p., 21,50 €).

CES NYMPHES DE L’ACIER ÉTAIENT DES PÉTROLEUSE­S.

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Thérèse Leclerc de Hauteclocq­ue.

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