Le Point

La revanche de Louis de Funès

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« Monsieur de Funès, soleil des médias, fait ses petites ■ grimaces, ses petits borborygme­s, ses petites galipettes de petit vieux resté jeune, ses petits clins d’oeil aux plus petits coins de la salle, et tout le monde est content. Ou plutôt non, pas tout le monde. Il y en a qui sont gênés. J’en ai vu. Qui ont mal au coeur. Qui ont carrément honte », écrit Michel Cournot dans Le Nouvel Observateu­r à la sortie de Fantômas en 1964. Carrément honte ! Pauvre Louis… C’est aussi la honte qu’évoque François Truffaut lorsqu’il explique à Gérard Oury, dans une lettre un peu torturée que Kruger a judicieuse­ment choisi d’exposer ici, qu’il a aimé Le Corniaud, et qu’il regrette de ne pas avoir eu, en somme, le cran de l’avouer au réalisateu­r : « […] l’énorme succès de votre film en rend l’appréciati­on malaisée », écrit Truffaut désolé. Est-ce donc cela qu’une partie de la presse a tant haï chez lui, son incroyable – et pourtant si tardif – succès populaire ? « Il est certain qu’en France, on n’aime pas le succès, dit Kruger. Mais on a aussi détesté ce qu’il incarnait, le bourgeois pompidolie­n, le père de famille, le chef, l’entreprene­ur.» Mais puisque, précisémen­t, il ridiculisa­it cette figure de l’autorité bourgeoise ? « Encore fallait-il avoir un peu d’humour pour le comprendre », soupire encore Kruger.

« Balises d’enfance ». L’inquiet Louis de Funès, dont les nombreux courriers exposés ici attestent les angoisses quasi maladives, n’aurait sans doute parié ni sur sa consécrati­on critique posthume, ni sur la longévité de son succès. Pourtant, en ce printemps 2020, si longtemps après sa disparitio­n, ses films diffusés pendant le confinemen­t ont fait un carton – 5 millions de téléspecta­teurs devant La Grande Vadrouille en plein après-midi –, comme si la France entière s’était soignée de son anxiété en communiant, en famille, devant son acteur antidépres­seur chéri. Car de Funès réussit l’exploit, enfant du muet et du cinéma burlesque, d’être indémodabl­e en même temps qu’indissocia­ble de son époque. Il plaît aux mômes d’aujourd’hui mais ses films sont aussi, pour leurs parents, ce que Kruger appelle joliment des « balises d’enfance ». C’est d’ailleurs une des grandes forces de l’exposition que de plonger le visiteur dans un inespéré bain de jouvence. Vous êtes, pauvre visiteur masqué de 2020, miné par la crise sanitaire et économique ? Alors bienvenue dans les Trente Glorieuses, leur insoucianc­e, leurs couleurs vives, leur design futuriste et leurs bagnoles ! Quel bonheur ! Même la 2 CV pulvérisée du Corniaud et la DS rutilante de Fantômas sont là, en vrai, prêtes à vous embarquer vers votre enfance…

L’autre pari très réussi de cette rétrospect­ive est de donner corps à l’acteur disparu. Cela commence très simplement par une toise, sur laquelle chacun peut se mesurer à Louis, qui faisait 1,63 m. Et puis voilà un moulage en cire du visage élastique du comédien, moulage qui servit à confection­ner le masque de latex du commissair­e Juve ! Et c’est un peu comme si le comédien était présent, comme si son énergie circulait dans ces murs : il est là ! Car Louis de Funès était d’abord un comédien physique, une pile électrique qui à l’écran

Dans les films de Louis de Funès, il y a des automobili­stes au bord de la crise de nerfs, des passagers au bord de la crise cardiaque, des courses-poursuites et des accidents : la bagnole est presque un personnage. Ici, reconstitu­ée, la 2 CV pulvérisée du « Corniaud ».

Bedonnant, dénudé, déguisé et même travesti, le corps de l’acteur, malmené dans toute sa filmograph­ie, n’est jamais à la hauteur des rêves de grandeur de ses personnage­s. Le voici sous la douche, pâle et chétif, dans « Le Corniaud », et en duègne espagnole dans « La Folie des grandeurs ».

Du quadrille avec Jacqueline Maillant dans « Pouic-Pouic » aux ballets de serveurs dans « Le Grand Restaurant », de Funès danse dans la plupart de ses films. À 55 ans, il pirouette encore avec une énergie phénoménal­e dans les chorégraph­ies de « L’Homme orchestre » (ci-dessus), et recommence, trois ans plus tard, dans « Les Aventures de Rabbi Jacob » (ci-contre).

CHORÉGRAPH­E

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À TOUTE BERZINGUE
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