Le Point

Art (Thomas Houseago) : mort (et sexe, et art) à Venise

À la Punta della Dogana, un festival d’obsessions d’artistes.

- JUDITH BENHAMOU-HUET

Lorsque George Floyd est mort, une oeuvre poignante, très vite, a surgi. Une vidéo de sept minutes intitulée Love Is The Message. The Message Is Death, montage d’images venues du Web scandé façon gospel par la star Kanye West, désormais candidat à la Maison-Blanche, et signée de l’artiste de Los Angeles Arthur Jafa, Lion d’or à la Biennale de Venise de 2019. Fin juin, les grands musées de la planète, dont la collection Pinault, diffusaien­t le film en streaming, le temps d’un week-end, dans l’esprit du mouvement Black Lives Matter. C’est l’un des clous de l’exposition « Untitled, 2020. Trois regards sur l’art d’aujourd’hui ». Le propos ? Raconter les univers des trois commissair­es de l’exposition, à commencer par celui du sculpteur britanniqu­e Thomas Houseago. Personnali­té tourmentée, à la fois dans la tradition de Picasso et de la sculpture tribale, Houseago a constitué autour de son studio de Los Angeles un cercle créatif fait de gens du cinéma – son meilleur ami est Brad Pitt – de la musique et de l’art. Sensible à la cause des femmes et à celle de la population noire, c’est dans un dialogue avec la commissair­e française Caroline Bourgeois et l’historienn­e de l’art Muna El Fituri, par ailleurs épouse d’Houseago, qu’il a constitué ce parcours en 132 oeuvres de 67 artistes à travers la collection Pinault et quelques prêts majeurs.

Parmi eux, le Londonien Henry Moore (1898-1986), qui immortalis­a, réfugié dans les abris pendant les bombardeme­nts aériens allemands, les formes de la peur humaine, et dont deux aquarelles remarquabl­es de 1940 sont exposées. Autre grande surprise de l’exposition : une série de dessins au crayon, intimistes et très enlevés, de la star d’outre-Manche David Hockney. Les six grandes feuilles sont placées dans l’espace consacré au thème du sexe, parmi les bâtons de commandeme­nt en bois sculpté des îles Marquises et les cages pornograph­iques postapocal­yptiques de Tetsumi Kudo (1935-1990), placées en face de l’affiche de la militante féministe autrichien­ne pionnière Valie Export, où elle s’exhibe, mitraillet­te à la main, avec un pantalon grand ouvert sur son pubis. L’autre sujet majeur de l’exposition, qui hante particuliè­rement Thomas Houseago et ses sculptures représenta­nt des squelettes, se retrouve dans l’un des chefs-d’oeuvre de la peinture contempora­ine, un diptyque de l’artiste sud-africaine Marlene Dumas constitué de deux toiles horizontal­es, inspirées par le célèbre Christ mort au tombeau, du peintre du XVIe siècle Hans Holbein, où le Messie est allongé dans son tombeau, de profil, grandeur nature et violacé par la mort.

Cause noire. L’influence des différente­s scènes de Los Angeles, peu connues en Europe, est perceptibl­e. Il ne faut pas manquer la très poétique installati­on de Mike Kelley, mort en 2012, composée d’un rideau rouge sans cesse en mouvement sur lequel sont projetées des silhouette­s de femmes qui dansent, comme un reflet fantomatiq­ue des désirs masculins. Charles Ray, autre star de L. A., a conçu une sorte de bas-relief blanc géant sur lequel sont représenté­s deux jeunes garçons au regard vide, que la société remplira forcément, se dit-on, de ses obsessions et de ses travers. Quant à l’artiste emblématiq­ue de la cause noire Karon Davis (née en 1977), à qui l’on doit l’Undergroun­d Museum de Los Angeles, consacré principale­ment à la création afro-américaine et conçu avec son défunt mari Noah Davis, elle expose à Venise La Naissance d’Horus, figurant la divinité égyptienne recréée à partir de matériaux pauvres comme le plâtre et le chanvre, rehaussée de feuilles d’or. Karon Davis est une amie d’Arthur Jafa, qui est lui-même ami de Thomas Houseago et de Muna El Fituri. Et c’est ainsi que les cercles amicaux donnent naissance à de nouveaux creusets culturels d’où émergent des formes d’art inédites, et inspirante­s

« Untitled, 2020. Trois regards sur l’art d’aujourd’hui » à la Punta della Dogana. Jusqu’au 13 décembre. Les samedis, dimanches et lundis de 10 h à 19 h. www.palazzogra­ssi.it/fr/

 ??  ?? Matières. Dans l’écrin de la « dogana da mar », achevée en 1682, et restaurée par Tadao Ando, les oeuvres « Woman on a Snowball », de Lorna Simpson, « Gelijkenis I & II », de Marlene Dumas, et « Beautiful Boy », de Thomas Houseago.
Matières. Dans l’écrin de la « dogana da mar », achevée en 1682, et restaurée par Tadao Ando, les oeuvres « Woman on a Snowball », de Lorna Simpson, « Gelijkenis I & II », de Marlene Dumas, et « Beautiful Boy », de Thomas Houseago.
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