Des abeilles pour ser
Sur le plateau de Valensole, des chercheurs étudient le rôle de tous les pollinisateurs dans la production agricole. Reportage.
Il suffit de couper le moteur de la voiture, de claquer les portières. En un instant, l’onde sonore s’élève des champs alentour. Un vrombissement intense, vivant, révèle la présence d’une foule de pollinisateurs déjà en pleine activité à cette heure matinale. « C’est toujours aussi impressionnant, même pour moi qui passe mes journées au milieu des insectes », dit amusée Lucie Schurr. Casquette sur la tête et lunettes sur le nez, la jeune biologiste de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE d’Aix-Marseille Université) farfouille dans le coffre de sa voiture. Elle en extrait le parfait petit attirail du chasseur d’insectes : un filet à papillons, des dizaines de tubes à essai, des cahiers de classification, et même une combinaison grillagée pour se protéger en cas de rencontre inopinée avec des abeilles énervées.
Cet été, comme le précédent, la chercheuse s’exposera à toutes sortes de piqûres pour résoudre une équation écologique encore peu explorée par la science : une plus grande biodiversité des pollinisateurs permet-elle de meilleurs rendements agricoles ? L’idée, si elle paraît simple, est en réalité révolutionnaire tant l’attention se concentre encore quasi exclusivement sur l’abeille domestique (Apis mellifera). Pourtant, la star des ruches est bien loin d’être la seule capable de récolter le pollen des cultures. Des milliers d’autres espèces sauvages s’y attellent tout autant qu’elle. Et certaines ne sont même pas des abeilles ! Ce sont des mouches, des coléoptères, des bourdons, des papillons, voire des guêpes… Alors, pour savoir à quel point cette multitude d’insectes discrets, et souvent méconnus, contribue à la bonne fortune des cultivateurs, Lucie Schurr a délocalisé ici son laboratoire, sur un terrain d’étude idéal.
Ici, c’est le plateau de Valensole, dans les Alpes-de-Haute-Provence. À 500 mètres d’altitude, voisine des gorges du Verdon, cette vaste étendue est mondialement réputée pour sa culture du lavandin. À perte de vue, les longues travées de fleurs violettes saturent l’air de leur odeur entêtante de lavande. Un vrai cliché pour les touristes ! Ils sont d’ailleurs des milliers chaque année à s’agglutiner sur le bord des routes pour admirer le spectacle. « Cet été, avec le Covid-19, on ne verra pas les bus remplis de couples de Chinois qui se font tirer le portrait en costumes de mariés au milieu des champs », remarque pincesans-rire Denis Vernet, cultivateur sur le plateau de Valensole.
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Les mouches aussi peuvent butiner le pollen des cultures.