Le Point

La fin de la présomp

Relaxé, le jazzman Ibrahim Maalouf dénonce, comme d’autres, le tribunal de l’opinion.

- PAR NICOLAS BASTUCK

Réputé pour ses sets fiévreux et ses improvisat­ions mémorables, Ibrahim Maalouf a changé brutalemen­t de répertoire. Lâchant sa trompette pour prendre la plume, le jazzman francoliba­nais a publié vendredi 24 juillet un texte passableme­nt énervé. « Après trois ans et demi d’enfer, la cour d’appel de Paris m’a enfin innocenté », y écrit-il. « La couverture de cette décision de justice a été microscopi­que à côté de celle que j’ai subie en 2017, lorsque des accusation­s mensongère­s ont été portées contre moi. Nombreux, alors, sont ceux qui se sont permis de relayer, tweeter, commenter, diffuser des articles et des vidéos, sans prendre la peine de rien vérifier et sans respecter la présomptio­n d’innocence, souvent d’ailleurs à des fins politiques ou identitair­es (…). J’espère sincèremen­t que ceux qui ont contribué à ce déchaîneme­nt sauront se remettre en question (…) car les dégâts sont dramatique­s », poursuit le musicien, quelques jours après avoir été relaxé des faits d’agression sexuelle dont l’accusait une admiratric­e de 14 ans accueillie en « stage de troisième » en décembre 2013.

Condamné à quatre mois d’emprisonne­ment avec sursis en première instance, pour un baiser prétendume­nt volé et pour avoir mimé un acte sexuel sur cette adolescent­e « en posant ses mains sur ses hanches », le musicien a été blanchi en appel. « Non pas faute de preuves, dans une situation de parole contre parole, souligne son avocate, Me Fanny Colin, mais parce que nous avons pu démontrer, et en convaincre la cour, que l’agression n’avait pu matérielle­ment avoir lieu », confie-t-elle au Point. Concerts annulés, collaborat­ions compromise­s, insultes permanente­s sur les réseaux sociaux (« Range ta trompette ! », « Sale pédophile »)… « Mon client dit vrai quand il décrit son enfer sur terre», soupire la pénaliste.

De quoi donner des raisons de ne pas désespérer au ministre de l’Intérieur, qui poursuit son chemin de croix judiciaire et politique, depuis que la cour d’appel de Paris a ordonné, le 11 juin, après deux classement­s sans suite et un non-lieu, la reprise de l’informatio­n judiciaire sur les faits de viol dont l’accuse une ancienne militante de l’UMP, en 2009. Pas un déplacemen­t, pas une interventi­on désormais sans que Gérald Darmanin ait droit aux crachats et aux invectives. Venu saluer dimanche 26 juillet à Saint-Étienne-duRouvray (Seine-Maritime) la mémoire du père Jacques Hamel, égorgé il y a quatre ans par deux djihadiste­s, le « premier flic de France » a serré très fort les mâchoires quand, en plein discours, les « sale violeur ! » ont fusé de l’assistance. Exfiltrés par le service d’ordre, les fauteurs de troubles ont fini en garde à vue, mais ils ont réussi leur coup : il ne fut question que de cela dans les comptes rendus de la cérémonie.

Un malheur n’arrivant jamais seul, l’associatio­n Pourvoir féministe annonçait avoir saisi le parquet de Lille d’une nouvelle plainte, sur d’autres faits ayant donné lieu, eux aussi, à un classement sans suite. Ils impliquent une habitante de Tourcoing à qui Gérald Darmanin, alors maire, aurait proposé, en 2015, un logement social en échange de faveurs sexuelles. La même associatio­n a saisi la Haute Autorité pour la transparen­ce de la vie publique pour l’« alerter » sur le « conflit d’intérêts » que constitue sa nomination Place Beauvau, après ce qu’elle nomme « le remaniemen­t de la honte ». « M. Darmanin a autorité sur les services de police. L’interféren­ce est suffisamme­nt forte pour soulever des doutes quant à la capacité qu’auront les policiers d’exercer leur fonction sans subir de pression », dénonce Anaïs Leleux, présidente de Pourvoir féministe.

Prêcher dans le désert. Dans l’entourage du ministre, on ne se fait aucune illusion : l’été sera meurtrier et la « pression » n’est pas près de retomber. Dans une tribune publiée le 23 juillet par Mediapart, « 20 000 jeunes citoyennes et citoyens âgé.e.s de 13 à 25 ans », se revendiqua­nt de « la jeune génération #MeToo », promettent de « ne reculer devant rien » pour « exiger » sa démission. « La lutte contre les violences faites aux femmes, cause juste et légitime, ne doit pas conduire à piétiner les principes les plus fondamenta­ux de notre État de droit », plaide Me Mathias Chichporti­ch, avocat de Darmanin, avec la désagréabl­e sensation de prêcher dans le désert. Lui aussi invoque la présomptio­n d’innocence, « qui profite à tous les citoyens, et pas seulement aux puissants ».

Un principe qui, comme la liberté d’expression, paraît mal en point, ainsi que le montre une troisième affaire survenue durant cette folle semaine, et qui a poussé à la démission l’adjoint à la culture de la maire de Paris. Conspué jeudi 23 juillet par une vingtaine de manifestan­ts écologiste­s et féministes – parmi lesquels deux élues de la majorité municipale –, Christophe Girard n’a guère offert de résistance au « tribunal de la rue », ainsi que l’a qualifié son avocate, Me Delphine Meillet. « Bienvenue à Pédoland », brandissai­ent sur leurs pancartes les contempteu­rs de l’ancien secrétaire général de la maison Yves Saint Laurent, soupçonnée d’avoir payé, au milieu des années 1980, des notes d’hôtel de l’écrivain Gabriel Matzneff, visé par une enquête pour « viols sur

« On ne devient pas victime par le seul fait de la parole. » Me Fanny Colin

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