La fin de la présomp
Relaxé, le jazzman Ibrahim Maalouf dénonce, comme d’autres, le tribunal de l’opinion.
Réputé pour ses sets fiévreux et ses improvisations mémorables, Ibrahim Maalouf a changé brutalement de répertoire. Lâchant sa trompette pour prendre la plume, le jazzman francolibanais a publié vendredi 24 juillet un texte passablement énervé. « Après trois ans et demi d’enfer, la cour d’appel de Paris m’a enfin innocenté », y écrit-il. « La couverture de cette décision de justice a été microscopique à côté de celle que j’ai subie en 2017, lorsque des accusations mensongères ont été portées contre moi. Nombreux, alors, sont ceux qui se sont permis de relayer, tweeter, commenter, diffuser des articles et des vidéos, sans prendre la peine de rien vérifier et sans respecter la présomption d’innocence, souvent d’ailleurs à des fins politiques ou identitaires (…). J’espère sincèrement que ceux qui ont contribué à ce déchaînement sauront se remettre en question (…) car les dégâts sont dramatiques », poursuit le musicien, quelques jours après avoir été relaxé des faits d’agression sexuelle dont l’accusait une admiratrice de 14 ans accueillie en « stage de troisième » en décembre 2013.
Condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis en première instance, pour un baiser prétendument volé et pour avoir mimé un acte sexuel sur cette adolescente « en posant ses mains sur ses hanches », le musicien a été blanchi en appel. « Non pas faute de preuves, dans une situation de parole contre parole, souligne son avocate, Me Fanny Colin, mais parce que nous avons pu démontrer, et en convaincre la cour, que l’agression n’avait pu matériellement avoir lieu », confie-t-elle au Point. Concerts annulés, collaborations compromises, insultes permanentes sur les réseaux sociaux (« Range ta trompette ! », « Sale pédophile »)… « Mon client dit vrai quand il décrit son enfer sur terre», soupire la pénaliste.
De quoi donner des raisons de ne pas désespérer au ministre de l’Intérieur, qui poursuit son chemin de croix judiciaire et politique, depuis que la cour d’appel de Paris a ordonné, le 11 juin, après deux classements sans suite et un non-lieu, la reprise de l’information judiciaire sur les faits de viol dont l’accuse une ancienne militante de l’UMP, en 2009. Pas un déplacement, pas une intervention désormais sans que Gérald Darmanin ait droit aux crachats et aux invectives. Venu saluer dimanche 26 juillet à Saint-Étienne-duRouvray (Seine-Maritime) la mémoire du père Jacques Hamel, égorgé il y a quatre ans par deux djihadistes, le « premier flic de France » a serré très fort les mâchoires quand, en plein discours, les « sale violeur ! » ont fusé de l’assistance. Exfiltrés par le service d’ordre, les fauteurs de troubles ont fini en garde à vue, mais ils ont réussi leur coup : il ne fut question que de cela dans les comptes rendus de la cérémonie.
Un malheur n’arrivant jamais seul, l’association Pourvoir féministe annonçait avoir saisi le parquet de Lille d’une nouvelle plainte, sur d’autres faits ayant donné lieu, eux aussi, à un classement sans suite. Ils impliquent une habitante de Tourcoing à qui Gérald Darmanin, alors maire, aurait proposé, en 2015, un logement social en échange de faveurs sexuelles. La même association a saisi la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pour l’« alerter » sur le « conflit d’intérêts » que constitue sa nomination Place Beauvau, après ce qu’elle nomme « le remaniement de la honte ». « M. Darmanin a autorité sur les services de police. L’interférence est suffisamment forte pour soulever des doutes quant à la capacité qu’auront les policiers d’exercer leur fonction sans subir de pression », dénonce Anaïs Leleux, présidente de Pourvoir féministe.
Prêcher dans le désert. Dans l’entourage du ministre, on ne se fait aucune illusion : l’été sera meurtrier et la « pression » n’est pas près de retomber. Dans une tribune publiée le 23 juillet par Mediapart, « 20 000 jeunes citoyennes et citoyens âgé.e.s de 13 à 25 ans », se revendiquant de « la jeune génération #MeToo », promettent de « ne reculer devant rien » pour « exiger » sa démission. « La lutte contre les violences faites aux femmes, cause juste et légitime, ne doit pas conduire à piétiner les principes les plus fondamentaux de notre État de droit », plaide Me Mathias Chichportich, avocat de Darmanin, avec la désagréable sensation de prêcher dans le désert. Lui aussi invoque la présomption d’innocence, « qui profite à tous les citoyens, et pas seulement aux puissants ».
Un principe qui, comme la liberté d’expression, paraît mal en point, ainsi que le montre une troisième affaire survenue durant cette folle semaine, et qui a poussé à la démission l’adjoint à la culture de la maire de Paris. Conspué jeudi 23 juillet par une vingtaine de manifestants écologistes et féministes – parmi lesquels deux élues de la majorité municipale –, Christophe Girard n’a guère offert de résistance au « tribunal de la rue », ainsi que l’a qualifié son avocate, Me Delphine Meillet. « Bienvenue à Pédoland », brandissaient sur leurs pancartes les contempteurs de l’ancien secrétaire général de la maison Yves Saint Laurent, soupçonnée d’avoir payé, au milieu des années 1980, des notes d’hôtel de l’écrivain Gabriel Matzneff, visé par une enquête pour « viols sur
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« On ne devient pas victime par le seul fait de la parole. » Me Fanny Colin