Le Point

Ot dans la tempête

À la tête de la SNCF depuis fin 2019, il gère les crises et reste zen.

- PAR MICHEL REVOL

Jean-Pierre Farandou rêverait de faire une expérience. Couper net le moteur du TGV dans lequel il a pris place et qui file actuelleme­nt le long du Rhône, non loin d’Avignon. On aurait alors la preuve concrète et scientifiq­ue que le train est bien plus écologique que l’avion, foi de Farandou. Écoutons le patron de la SNCF, assis dans un fauteuil de 1re classe (une exception pour lui), masque sur le visage. Avec son léger accent du Sud-Ouest, il énonce une loi de physique : « Si on coupe ici le moteur de la locomotive, on arrivera quand même, juste grâce à l’inertie, jusqu’à Paris. Mais si le pilote d’avion arrête ses réacteurs, il n’ira pas très loin!» On fait un peu la moue, car il reste bien 700 kilomètres à parcourir, et un train, même lancé à 300 kilomètres/heure, peut-il parcourir cette distance sans moteur ? Après tout, Jean-Pierre Farandou est ingénieur de formation (Mines, 1976), et il ne faudrait pas trop le tenter, car il pourrait joindre le geste à la parole. Le sexagénair­e sait vraiment conduire un train et donc il sait aussi l’arrêter.

Farandou est un cheminot, un vrai. Il le dit à qui veut l’entendre : « J’ai fait cheminot première langue. » Au sein de la maison qu’il dirige depuis novembre, on apprécie. Quelques heures avant de filer en TGV vers Paris pour discuter gros sous avec Bruno Le Maire, ce jeudi 18 juin, il était au milieu des cheminots marseillai­s. Une

sorte de road show à la gloire ■ du rail, mais à la mode Farandou. Quand son prédécesse­ur Guillaume Pepy se déplaçait, le service communicat­ion de la SNCF était sur les dents. Le « solaire » Pepy, comme le qualifie Farandou, voulait des caméras, des micros, des passages au JT de 20 heures. Farandou le « placide » – toujours selon ses termes – préfère la discrétion. Même quand il a rendu visite, la veille, à Renaud Muselier, le président de la région Sud, il a restreint le nombre de journalist­es. Son modèle, c’est Louis Gallois, président du rail jusqu’en 2006, qui « roulait en vieille Safrane ». «Avec lui, j’ai appris la rectitude», dit son successeur, qui continue à prendre le Transilien à Bécon-lesBruyère­s, en banlieue parisienne, où il vit, pour se rendre au bureau. Entré en 1981 dans la maison, l’exchef de gare de Rodez y a presque tout fait : patron des TER, responsabl­e du lancement de trois lignes TGV, dont Thalys, haut cadre aux ressources humaines, patron de Keolis, la filiale chargée des transports urbains…

Avec ça, un chef sympa et attentif, qui vous parle aimablemen­t et loue l’esprit collectif du rugby, qu’il pratiquait en s’inscrivant au club local à chaque nouvelle affectatio­n. Au milieu des voyageurs de la gare Saint-Charles, à Marseille, il discute avec les agents d’accueil en polo mauve, puis grimpe dans le poste d’aiguillage informatis­é, en surplomb des voies. Serviette de cuir au bout du bras, cintré dans un costume bleu nuit, Farandou débat des avantages de tel et tel système d’aiguillage avec un cheminot et raconte à un autre les « tonnes de ballast qu’il a fallu déverser » juste avant l’ouverture du TGV Méditerran­ée, en 2001, pour stabiliser les ouvrages le long du Rhône. « Et le 14 juillet, c’était prêt ! » s’amuse Farandou, assez fier de lui. Le cheminot opine, visiblemen­t sous le charme.

Un ami avec lequel Farandou a déjeuné il y a peu l’a trouvé étonnement serein. Le nouveau patron de la SNCF semble inébranlab­le. Il y aurait pourtant de quoi s’arracher les cheveux, qu’il a noirs et drus. Sa tâche a des airs de mission kamikaze, tant les éléments se déchaînent pour déstabilis­er la SNCF. Succédant aux grèves de décembre 2019, le Covid-19 a laminé les comptes. La facture est lourde. Avec un trafic tombé à 7 % de la normale pendant le confinemen­t pour les TGV, la machine à sous de la maison, la SNCF a évalué à 4 milliards d’euros les pertes liées à la crise sanitaire, sur un chiffre d’affaires annuel de 35 milliards. Sans oublier les 614 millions de chiffre d’affaires déjà perdus avec la grève des retraites. Quelques semaines après sa prise de fonctions,

Chiffre d’affaires 2019 :

Farandou a donc dû creuser la dette en empruntant entre 2,5 et 3 milliards sur les marchés. Il n’en a pas fini avec les soucis. Le PDG doit d’abord retrouver de la rentabilit­é en échange de la reprise de la dette par l’État (35 milliards au total), selon l’accord passé en 2018. Il devra aussi faire avaler la pilule de la réforme des retraites, que le gouverneme­nt remettra bien un jour sur le tapis, et préparer la SNCF, désormais société anonyme, à affronter la concurrenc­e pour les TER puis les TGV dès la fin de l’année. On passe sur les négociatio­ns salariales à venir, forcément tendues en période de crise, et sur la fin du statut du cheminot pour les nouveaux embauchés depuis le 1er janvier 2020.

« Placide ». La SNCF fait figure de dossier brûlant pour le gouverneme­nt Castex. «L’État va aider le groupe à hauteur de plusieurs milliards d’euros », a annoncé le ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, le 22 juillet dans Le Figaro. L’exécutif pourrait recapitali­ser l’entreprise ou reprendre une part complément­aire de la dette. À l’énoncé de ses travaux d’Hercule, le « placide » Farandou reste zen. La concurrenc­e? Même pas peur. «Je l’ai affrontée pendant sept ans à la tête de Keolis. » Il a d’ailleurs plutôt bien réussi, malgré les difficulté­s initiales. Arrivé en 2012 à la tête de la filiale de la SNCF, il arrache un gros contrat pour mettre la main sur le train de banlieue de Boston, aux États-Unis. Mais l’affaire perd jusqu’à 60 millions d’euros par an ! Avant de dégager du bénéfice en 2018, pour la première fois. Farandou le besogneux, comme certains l’appellent, a tenu bon. Les crises ? Il rétorque qu’il a derrière lui « trente ans d’astreinte », où il devait être prêt à intervenir en cas de conflit. C’est d’ailleurs lui que Guillaume Pepy envoyait dès qu’il y avait un problème à régler dans une région. « Il était le porteur d’eau, toujours prêt à dire oui pour monter au front », raconte un homme qui le connaît bien. Quant aux syndicats, il en fait son affaire. Les experts du secteur assurent que le gouverneme­nt l’a choisi pour sa faculté à les mainte

 ??  ?? Expert. Au poste d’aiguillage de la gare Saint-Charles de Marseille, le 18 juin. Son parcours plaît aux cheminots.
Expert. Au poste d’aiguillage de la gare Saint-Charles de Marseille, le 18 juin. Son parcours plaît aux cheminots.

Newspapers in French

Newspapers from France